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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


migration, à la répartition des récompenses et des peines, à la nécessité et en même temps à la difficulté d’échapper d’une manière définitive aux conditions perpétuellement changeantes d’une existence toute relative. Jusque-là le solitaire de la race de Çâkya n’était pas en opposition avec la société brahmanique. Kchattriya par la naissance, il était devenu ascète, comme quelques autres, et notamment Viçvâmitra, avaient fait avant lui[1]. Il conservait même, dans un des noms qu’il portait, la trace du lien essentiellement religieux qui rattachait sa famille à la caste brahmanique ; il se nommait le Çramaṇa Gâutama, ou l’ascète Gâutamide, sans doute parce que Gâutama était le nom de famille sacerdotal de la race militaire des Çâkyas, qui en qualité de Kchattriyas n’avaient pas d’ancêtre ni de saint tutélaire à la manière des Brâhmanes, mais qui avaient pu prendre, ainsi que la loi indienne l’autorise, le nom de l’ancien sage à la race duquel appartenait leur directeur spirituel[2]. Philosophe et moraliste, il croyait à la plupart des vérités admises par les Brahmanes ; mais il se séparait d’eux du moment qu’il s’agissait de tirer la conséquence de ces vérités et de déterminer les conditions du salut, but des efforts de l’homme, puisqu’il substituait l’anéantissement et le vide au Brahma unique dans la substance duquel ses adversaires faisaient rentrer le monde et l’homme.

Je vais maintenant extraire des Sûtras les passages qui m’ont paru de nature à jeter le plus de jour sur les points suivants : la position de Çâkya et de ses disciples à l’égard des Brahmanes et des autres ascètes en général ; le but que Çâkya et ses Religieux se proposaient en commun ; les luttes que le chef soutenait contre ses adversaires ; les moyens de conversion qu’il employait, et l’action que son enseignement devait à la longue exercer sur le système brahmanique des castes. Ces divers sujets sont souvent mêlés entre eux dans le même

  1. Outre Viçvâmitra, dont la légende est bien connue par le Râmâyaṇa, les anciens Itihâsas que citent les commentateurs des Vêdas, ou des traités formant des espèces d’appendices à ces anciens livres, parlent d’un guerrier de la race des Kurus qui devint Brâhmane. (Comment. sur le Nirukta, Ire partie, p. 49 b de mon manuscrit.)
  2. Voyez dans le Foe koue ki, p. 309, une note dans laquelle je me suis efforcé d’expliquer cette difficulté. Les analyses de Csoma nous apprennent que Mâudgalyâyana, en s’adressant aux Çâkyas de Kapilavastu, leur disait « Gâutamâḥ » ou « Gâutamides. » (Asiat. Res., t. XX, p. 74 ; et Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. II, p. 386 sqq.) Mais cela prouve seulement que les Çâkyas prenaient le nom de Gâutamas. L’origine de ce titre reste inconnue, et l’explication que j’en propose n’est encore qu’une conjecture. Un fait curieux, quoiqu’il ne nous avance pas beaucoup sur la question d’origine, c’est que, de nos jours encore, il existe dans le district de Gonikpour, c’est-à-dire dans le pays même où est né Çâkyamuni, une branche de la race des Radjpouts, qui prend le nom de Gâutamides. (History, etc., of East India, t. II, p. 458.) Fr. Hamilton, auquel on doit la connaissance de ce fait, a rassemblé touchant ces Radjpouts Gâutamides des détails un peu confus. Il n’explique pas comment une famille de Kchattriyas peut se dire issue d’un saint brahmanique.