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DU BUDDHISME INDIEN.

Voilà ce que nous apprennent les Sûtras de la position et des desseins de Çâkyamuni au milieu de la société indienne ; et c’est la, si je ne me trompe, la forme la plus simple et la plus primitive sous laquelle se présente sa doctrine, tant qu’elle n’est encore, comme dans ces traités, qu’à l’état de prédication. Que d’autres livres du Népal, tels que les diverses éditions de la Pradjnâ pâramitâ, nous offrent un système plus régulier et qui embrasse un bien plus grand nombre de questions que celles qui sont indiquées dans les Sûtras, cela ne doit pas nous surprendre ; mais ce n’est pas ici le lieu de comparer le Buddhisme développé de la Pradjnâ avec celui des Sûtras ; ce qui nous importe en ce moment, c’est de fixer, d’après cette dernière classe de traités, la position dans laquelle Çâkyamuni se trouvait au milieu des Brahmanes, des Kchattriyas et des autres castes. Il est clair qu’il se présentait comme un de ces ascètes qui depuis les temps les plus anciens parcourent l’Inde en prêchant la morale, d’autant plus respectés de la société qu’ils affectent de la mépriser davantage ; c’est même en se plaçant sous la tutelle des Brahmanes qu’il était entré dans la vie religieuse. Le Lalita vistara nous le montre en effet se rendant, au sortir de la maison paternelle, auprès des plus célèbres Brahmanes, pour puiser à leur école la science qu’il cherche[1]. Quand il a obtenu de ses maîtres ce qu’ils peuvent lui apprendre, quand le plus habile l’a même associé à l’exercice de ses fonctions de précepteur, Çâkya se livre, comme tous les ascètes, à de rudes mortifications, à une longue et rigoureuse abstinence ; et le Lalita vistara, qui retrace tous les détails de cette partie de sa vie, termine naïvement son récit par cette réflexion instructive : « C’était pour montrer au monde le « spectacle d’actions étonnantes[2]. » Çâkyamuni, ou le solitaire de la race de Çâkya, ne se distingue pas, à l’origine, des autres solitaires de race brahmanique ; et on verra tout à l’heure, quand je rassemblerai les preuves des luttes qu’il était obligé de soutenir contre les autres ascètes ses rivaux, que le peuple, étonné des persécutions dont il était l’objet, demandait quelquefois à ses adversaires quelles raisons ils avaient de le tant haïr, puisqu’il n’était qu’un mendiant comme eux.

Il n’est pas moins évident que l’opinion philosophique par laquelle il justifiait sa mission était partagée par toutes les classes de la société : Brahmanes, Kchattriyas, Vâiçyas et Çûdras, tous croyaient également à la fatalité de la trans-

  1. Lalita vistara, ch. xvi, f. 125 b sqq. de mon manuscrit. Il se met d’abord sous la discipline d’Ârâda Kâlâma, et ensuite sous celle de Rudraka, fils de Râma, qui résidait près de Râdjagriha. Les livres pâlis nomment le premier de ces Brâhmanes Alâra Kâlâma. (Turnour, Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. VII, p. 1004.)
  2. Lalita vistara, f. 135 b de mon man.