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DU BUDDHISME INDIEN.

commençait à remplir son office auprès du roi, ce dernier se couchait. Un jour le roi, qui était content d’elle, lui offrit de lui accorder la grâce qu’elle désirerait, et lui demanda : Quelle faveur veux-tu ? Seigneur, répondit la jeune fille, que le roi consente à s’unir avec moi. Tu es de la caste des barbiers, lui dit Bindusâra, et moi je suis un roi de la race des Kchattriyas qui ai reçu l’onction royale ; comment est-il possible que tu aies commerce avec moi ? Je ne suis pas de la caste des barbiers, reprit-elle ; je suis la fille d’un Brahmane qui m’a donnée au roi pour qu’il fît de moi sa femme. — Qui t’a donc appris le métier de barbier ? dit le roi. — Ce sont les femmes des appartements intérieurs. — Je ne veux plus, dit Bindusâra, que tu fasses à l’avenir ce métier. Et. le roi déclara la jeune fille la première de ses femmes[1]. »

Une autre légende, celle d’Açôka, fils et successeur de Bindusâra, nous offre un exemple non moins curieux de la puissance des préjugés créés par les castes. Tichya rakchitâ, l’une des femmes du roi, avait conçu une passion incestueuse pour Kunâla, fils du roi et d’une autre de ses femmes ; mais elle avait été repoussée. Décidée à se venger, elle profite d’une maladie grave et réputée incurable, qui menaçait les jours du roi, pour s’emparer sans réserve de son esprit, et obtenir durant quelques jours l’usage exclusif de la puissance royale. J’extrais maintenant de cette légende ce qui touche à notre sujet.

« Açôka, voyant que son mal était incurable, donna l’ordre suivant : Faites venir Kunâla ; je veux le placer sur le trône ; qu’ai-je besoin de la vie ? Mais Tichya rakchitâ ayant entendu les paroles du roi, fit cette réflexion : Si Kunâla monte sur le trône, je suis perdue. Elle dit donc au roi Açôka : Je me charge de te rendre la santé ; mais il faut que tu interdises aux médecins feutrée du palais. Le roi défendit qu’on laissât entrer aucun médecin. De son côté, la reine leur dit à tous : S’il se présente à vous un homme ou une femme qui soit atteint du même mal que le roi, ayez soin de me le faire voir.

« Or il arriva qu’un homme de la caste des Abhîras (les pasteurs) fut atteint de cette même maladie. Sa femme alla faire connaître f état de son mari à un médecin, qui lui répondit : Que le malade vienne me trouver ; quand j’aurai reconnu son état, je lui indiquerai le remède convenable. L’Abhîra se rendit en conséquence chez le médecin, qui le conduisit en présence de Tichya rakchitâ. La reine l’introduisit dans un lieu secret et l’y fit mettre à mort. Quand l’Abhîra eut été tué, elle lui fit ouvrir le ventre, y regarda et aperçut dans son estomac un ver énorme. Quand le ver remontait, les excréments du malade lui sortaient par la bouche ; quand il descendait, ces matières impures prenaient leur cours

  1. Pâm̃çu pradâna, dans Div. avad., f. 183 b.