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DU BUDDHISME INDIEN.

sentiment et les procédés de l’histoire se sont produits et appliqués plutôt chez les Buddhistes que chez les Brâhmanes. Encore faudrait-il reconnaître que ces procédés n’ont pas pris chez eux de bien grands développements, puisque nous ne possédons pas plus l’histoire suivie de l’Inde buddhique que celle de l’Inde brâhmanique. Mais que dire maintenant en présence du témoignage formel des textes sacrés du Népâl, où paraît la société brâhmanique tout entière, avec sa religion, ses castes et ses lois ? Prétendra-t-on que la société dont ses livres attestent l’existence était primitivement buddhique, et que les Brâhmanes, qui plus tard en devinrent les maîtres, en ont emprunté certains éléments auxquels ils ont donné la forme sous laquelle on les trouve dans les lois de Manu, et dans les épopées du Râmâyana et du Mahâbhârata ? Ou bien imaginera-t-on que les noms des Divinités et des castes brâhmaniques, dont les Sûtras du Nord sont remplis, y ont été introduits après coup ? Et par qui ? Par les Buddhistes sans doute, pour se donner les honneurs d’une supériorité, ou au moins d’une égalité à l’égard des Brâhmanes, qu’ils n’auraient pu conserver dans l’Inde ; ou par les Brâhmanes peut-être, pour faire remonter leur existence à une époque plus haute que celle où ils ont paru réellement ? Comme si, d’une part, les rédacteurs des livres buddhiques eussent eu intérêt à montrer le Buddhisme se détachant du Brâhmanisme, si le Brâhmanisme n’eût pas existé en fait de leur temps ; et comme si, de l’autre, ils eussent permis aux Brâhmanes de venir après coup glisser leur nom odieux parmi les noms de Çâkya et de ses disciples. On ne peut en effet sortir de cette alternative : les Sûtras qui constatent l’existence de la société brâhmanique ont été écrits ou vers l’époque de Çâkya, ou très-longtemps après lui. S’ils sont contemporains de Çâkya, la société qu’ils décrivent existait alors, car on ne pourrait concevoir pourquoi ils auraient parlé avec tant de détails d’une société qui n’eût pas été celle où Çâkya parut. S’ils ont été écrits très-longtemps après Çâkya, on ne comprend pas davantage comment les Dieux et les personnages brâhmaniques y occupent une si grande place, puisque longtemps après le Buddha, le Brâhmanisme était profondément séparé du Buddhisme, et que ces deux cultes n’avaient plus qu’un seul terrain sur lequel ils pussent se rencontrer, celui de la polémique et de la guerre. Mais c’est assez, je pense, raisonner sur de simples hypothèses, d’autant plus que les monuments qui donnent lieu à ces diverses suppositions seront bientôt de ma part l’objet d’un examen spécial. Avec un petit nombre de faits et un grand emploi de la dialectique, il est facile d’arriver aux conséquences les plus bizarres et les plus contraires au sens commun ; et si je pouvais me convaincre que la polémique serve en général à mettre en lumière autre chose que les passions ou la vanité