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DU BUDDHISME INDIEN.

effet que ce titre ; rien ne fait mieux connaître la véritable nature de ces ouvrages, qui sont en quelque sorte doublés par cette exposition poétique, ou plutôt par cette paraphrase en vers qui en étend le fonds. J’ai déjà reconnu dans cette circonstance un signe manifeste de postériorité ; je me réfère à ce que j’en ai dit plus haut, en parlant de la forme extérieure de nos deux classes de Sûtras. Je répète seulement ici que ce caractère me paraît donner un grand poids à mon opinion sur la postériorité des Sûtras développés à l’égard des Sûtras ordinaires.

Mais le fait d’une paraphrase poétique qui est la simple répétition du texte n’est pas le seul indice de développement qu’il soit possible de signaler dans les Sûtras vâipulyas. Je laisse de côté les diverses éditions de la Pradjñâ pâramitâ, ces Sûtras presque monstrueux, où il semble qu’on ait pris à tâche de réaliser l’idéal de la diffusion ; j’y reviendrai plus tard. Je prends un autre Sûtra développé, le Gaṇḍa vyûha, lequel fait partie des neuf Dharmas, c’est-à-dire de ces livres qui sont au Népâl l’objet d’une vénération particulière. Puis je propose à un lecteur versé dans la connaissance du sanscrit, et doué d’ailleurs d’une patience robuste, de lire les cinquante premiers feuillets de ce traité, et de dire ensuite s’il lui semble qu’un tel ouvrage soit un livre primitif, un livre ancien, un de ces livres par lesquels les religions se fondent, un code sacré, en un mot ; s’il y reconnaît le caractère d’une doctrine qui n’en est encore qu’à ses premiers débuts ; s’il y saisit la trace des efforts du prosélytisme ; s’il y rencontre les luttes d’une croyance nouvelle contre un ordre d’idées antérieures ; s’il y découvre la société au milieu de laquelle s’essaie la prédication. Ou je me trompe gravement, ou après une telle lecture, celui dont j’invoque le témoignage n’aura trouvé dans ce livre autre chose que les développements d’une doctrine complète, triomphante et qui se croit sans rivale ; autre chose que les paisibles et monotones conceptions de la vie des cloîtres ; autre chose que les vagues images d’une existence idéale qui s’écoule avec calme dans les régions de la perfection absolue, loin de l’agitation bruyante et passionnée du monde. Or ce que je dis du Gaṇḍa vyûha s’applique presque rigoureusement aux autres grands Sûtras, au Samâdhi râdja, au Daçabhûmîçvara, par exemple. Et dans les autres Sûtras développés, tels que le Lalita vistara et le Lotus de la bonne loi, où paraît quelque chose de plus saisissable et de plus réel que les vertus idéales des Bôdhisattvas, où est retracée la vie de Çâkyamuni et où sont rapportées de belles paraboles qui donnent une si haute idée de la prédication du dernier Buddha, dans ces Sûtras, dis-je, les traces de développement se laissent si souvent reconnaître, qu’on est à tout instant entraîné à supposer que ces ouvrages ne font que travailler à loisir sur un thème déjà existant.