Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
INTRODUCTION À L’HISTOIRE

diocre, même au milieu des médiocrités qui remplissent les derniers chapitres du Lotus de la bonne loi ; et la présence d’un tel morceau dans un livre où rien ne l’annonce n’est pas elle-même un fait facile à expliquer. Tout devient clair, si l’on pense au rôle élevé qu’assignent à ce Bôdhisattva les Buddhistes du Nord. Les Tibétains le regardent comme le patron de leur pays ; les Mongols ont adopté les légendes qui célèbrent ses facultés surnaturelles, et les Chinois lui rendent également un culte spécial. M. Schmidt a savamment insisté sur le rôle que ce Bôdhisattva joue dans l’histoire du Buddhisme septentrional, notamment chez les Tibétains et chez les Mongols[1]. M. A. Rémusat a rédigé, d’après divers textes chinois, une curieuse note sur ce grand Bôdhisattva, et il a montré l’influence qu’il exerce, selon les Buddhistes du Nord, sur la conservation et la perpétuité de leur foi[2]. J’aurai occasion, dans mon Esquisse historique, de revenir sur ce personnage célèbre ; je remarque seulement ici qu’en nous le représentant comme associé à Mañdjuçrî dans le culte que lui rendent les sectateurs de l’Abhidharma, Fa hian nous autorise à tirer de la présence de son nom dans les Sûtras développés les mêmes conséquences que celles qui viennent d’être exposées tout à l’heure relativement à Mañdjuçrî.

Les noms de ces deux Bôdhisattvas, dans les légendes desquels dominent des éléments à peu près exclusivement fabuleux, me conduisent naturellement à signaler un autre ensemble de conceptions d’un ordre analogue, dont l’absence se fait également remarquer dans les Sûtras les plus simples, mais dont on saisit de nombreuses traces dans les Sûtras développés. Je veux parler de ce système des Buddhas et des Bôdhisattvas surhumains, nommés Dhyâna Buddhas et Dhyâni Bôdhisattvas, qui n’était pas très-généralement connu avant les recherches de M. Hodgson[3]. Je pourrais renvoyer au premier Mémoire de ce savant pour ce qui regarde cette partie du Buddhisme septentrional ; c’est

  1. Voyez les observations de cet auteur à la fin de son Histoire des Mongols orientaux (p. 424), et surtout celles qu’il a consignées dans son premier Mémoire sur quelques points fondamentaux du Buddhisme. (Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. 1, p. 110 sqq.) Le seul point sur lequel je m’éloignerais de son sentiment, c’est l’opinion où il est qu’Avalôkitêçvara doit avoir été un des auditeurs de Çakyamuni. (Ibid., t. I, p. 244 ; t II, p. 13.) Les remarques développées dans mon texte tendent à prouver que ce nom est tout à fait étranger aux Sûtras qui me paraissent émanés le plus directement de la prédication de Çâkya, et que je crois être les plus anciens.
  2. Foe Koue ki, p. 117.
  3. M. Schmidt établit qu’ils sont très-souvent mentionnés par les Buddhistes mongols ; et dans le fait, Pallas (Sammlung. hist. Nachricht., t. II, p. 86 et 87) et M. Schmidt (Geschichte der Ost-Mongol, p, 473) avaient cité, quoique avec quelques altérations, les noms des cinq Buddhas surhumains. (Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. I, p. 95, note 7.)