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DU BUDDHISME INDIEN.

Avadânas sanscrits qui sont à ma disposition, il ne peut exister à la fois sur la terre un Buddha et un Bôdhisattva, parce que le Bôdhisattva étant un Buddha en puissance, la coexistence de ces deux personnages produirait la coexistence de deux Buddhas vivants à la fois dans le même monde, ce que ne paraissent pas admettre les Buddhistes, chez lesquels l’unité du Buddha vivant est un dogme aussi solidement établi que l’était l’unité de Dieu chez les Juifs. C’est là du moins ce qui me paraît résulter de cette maxime que je trouve dans le Saddharma Langkâvatâra : « Il est impossible, il ne se peut faire, a dit Bhagavât, qu’il naisse à la fois dans un même univers plusieurs Tathâgatas[1]. » Le nom de Bôdhisattva, qui signifie littéralement « celui qui possède l’essence de la Bôdhi, ou de l’intelligence d’un Buddha, » est le titre de l’homme que la pratique de toutes les vertus et l’exercice de la méditation ont mûri, suivant l’expression de toutes les écoles buddhiques, pour l’acquisition de l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. L’homme qui se sent le désir de parvenir à cet état ne peut y atteindre par les seuls efforts de sa volonté ; il faut qu’il ait, pendant de nombreuses existences, mérité la faveur d’un ou de plusieurs de ces anciens et gigantesques Buddhas, à la réalité desquels croient les Buddhistes ; et c’est seulement quand il est en possession de leur faveur qu’il va, dans un des cieux qui s’élèvent au-dessus de la terre, attendre, sous le titre de Bôdhisattva, le moment de sa venue dans le monde. Descendu sur la terre, il est toujours Bôdhisattva, et n’est pas encore Buddha ; et c’est quand il a traversé toutes les épreuves, accompli les devoirs les plus élevés, pénétré par la science les vérités les plus sublimes, qu’il devient Buddha. Alors il est capable de délivrer les hommes des conditions de la transmigration, en leur enseignant la charité, et en leur montrant que celui qui pratique pendant cette vie les devoirs de la morale et s’efforce d’arriver à la science peut un jour parvenir à l’état suprême de Buddha. Puis quand il a ainsi enseigné la loi, il entre dans le Nirvâṇa, c’est-à-dire dans l’anéantissement complet, où a lieu, suivant la plus ancienne école, la destruction définitive du corps et de l’âme.

On pourrait supposer cependant (et c’est par là que je terminerai ce que j’ai à dire sur ce sujet) que la présence du Bôdhisattva Mâitreya aux assemblées de Çâkya n’est que momentanée, et qu’elle n’a rien de contradictoire avec le dogme de l’unité du Buddha, en ce qu’elle est le résultat d’un miracle. C’est évidemment par cette espèce d’ultima ratio des religions orientales qu’il faut l’expliquer ; et en effet, si les Dieux descendent du ciel pour se rendre visibles à Çâkya, comme le croient les Buddhistes, Mâitreya peut bien aussi figurer,

  1. Saddharma Langkâvatâra, f. 59 b.