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DU BUDDHISME INDIEN.

que ces morceaux au moins ne partent pas de la même main que les simples Sûtras. Rien dans les livres que caractérise cette différence de langage ne nous donne la moindre lumière sur son origine. Faut-il y voir l’emploi d’un style populaire qui se serait développé postérieurement à la prédication de Çâkya, et qui serait intermédiaire entre le sanscrit régulier et le pâli, dialecte tout à fait dérivé et manifestement postérieur au sanscrit ; ou bien n’y doit-on reconnaître que les compositions informes d’écrivains auxquels le sanscrit n’était plus familier, et qui se sont efforcés d’écrire dans la langue savante, qu’ils connaissaient mal, avec les libertés que donne l’emploi habituel d’un dialecte populaire peu arrêté ? Entre ces deux solutions, dont, à mon sens, la seconde est beaucoup plus vraisemblable que la première, ce serait à l’histoire de décider ; mais son témoignage direct nous manque, et nous sommes ici réduits aux inductions que nous fournissent les faits assez rares qui nous sont connus jusqu’ici. Or, ces faits, nous ne les trouvons pas tous dans la collection du Népâl : il est indispensable, pour embrasser la question dans son ensemble, de consulter un instant la collection singhalaise et les traditions des Buddhistes du Sud. Ce que nous y apprenons, c’est que les textes sacrés y sont rédigés en pâli, c’est-à-dire dans un dialecte dérivé au premier degré de l’idiome savant des Brâhmanes, et qui diffère très-peu du dialecte qu’on trouve sur les plus anciens monuments buddhiques de l’Inde. Est-ce dans ce dialecte que sont composées les portions poétiques des grands Sûtras ? Nullement ; le style de ces portions est un mélange inqualifiable où un sanscrit incorrect est hérissé de formes dont les unes sont tout à fait pâlies, et les autres populaires dans le sens le plus général de ce mot. Il n’y a pas de nom géographique à donner à un langage de ce genre ; mais on comprend en même temps qu’un tel mélange ait pu se produire dans des lieux où le sanscrit n’était pas étudié d’une manière savante, et au milieu de populations qui ne l’avaient jamais parlé ou qui n’en connaissaient que des dialectes dérivés à des degrés plus ou moins éloignés de la souche primitive. J’incline donc à croire que cette partie des grands Sûtras doit avoir été rédigée hors de l’Inde, ou pour m’exprimer d’une manière plus précise, dans les contrées situées en deçà de l’Indus ou dans le Kachemire par exemple, pays où la langue savante du Brâhmanisme et du Buddhisme devait être cultivée avec moins de succès que dans l’Inde centrale. Il me paraît bien difficile, pour ne pas dire impossible, que le jargon de ces poésies ait pu se produire à une époque où le Buddhisme florissait dans l’Indosthan. Alors, en effet, les Religieux n’avaient le choix qu’entre ces deux idiomes : ou le sanscrit, c’est la langue qui domine dans les compositions recueillies au Népal ; ou le pâli, c’est le dialecte qu’on trouve sur les anciennes inscriptions buddhiques de l’Inde et qui a été adopté par les Buddhistes singhalais.