qui depuis quarante Kalpas était parvenu à cette dignité. Ce Bôdhisattva vit, au fond d’une épaisse forêt, un fils qui commettait un inceste avec sa mère, et à cette vue il fit cette réflexion : Ah ! quelle corruption ! Qu’ils sont corrompus les êtres ! Faut-il qu’un homme agisse ainsi avec celle dans le sein de laquelle il a vécu pendant neuf mois, avec celle dont il a sucé le lait ? J’ai assez de ces créatures ennemies de la justice, passionnées pour des plaisirs illicites, livrées à de fausses doctrines, enflammées de désirs coupables, qui ne connaissent pas leur mère, qui n’aiment ni les Çramaṇas, ni les Brâhmanes, qui ne respectent pas les anciens de chaque famille. Qui aurait le courage d’accomplir, dans l’intérêt de tels êtres, les devoirs d’un Bôdhisattva ? Pourquoi ne me contenterais-je pas de remplir ces devoirs dans mon propre intérêt ? Le Bôdhisattva chercha donc un tronc d’arbre, et quand il en eut trouvé un, il s’assit auprès, les jambes croisées, tenant son corps dans une position perpendiculaire ; puis replaçant devant son esprit sa mémoire, il se mit à réfléchir, en contemplant successivement les cinq agrégats de la conception, sous le point de vue de leur production et de leur destruction, de cette manière : Ceci est la forme, ceci est la production de la forme, cela est la destruction de la forme ; ceci est la perception ; ceci est la notion ; voici les concepts ; ceci est la connaissance, ceci est la production de la connaissance, ceci la destruction de la connaissance. Ayant contemplé ainsi successivement les cinq agrégats de la conception, sous le point de vue de leur production et de leur destruction, il ne fut pas longtemps sans reconnaître que tout ce qui a pour loi la production a pour loi la destruction ; et arrivé à ce point, il obtint l’état de Pratyêka Buddha, ou de Buddha individuel[1]. Alors le bienheureux Pratyêka Buddha ayant contemplé les lois auxquelles il venait d’atteindre, prononça dans ce moment la stance suivante :
« De la recherche naît l’attachement, de l’attachement naît en ce monde la douleur : que celui qui a reconnu que la douleur provient de l’attachement se retire, comme le rhinocéros, dans la solitude.
Ensuite le bienheureux Pratyêka Buddha fit cette réflexion : J’ai accompli dans l’intérêt d’un grand nombre de créatures, des œuvres difficiles, et je n’ai encore fait le bien d’aucun être quelconque. À qui témoignerai-je aujourd’hui de
- ↑ Le mot de Pratyêka Buddha est le titre le plus élevé après celui de Buddha ; le Pratyêka Buddha est un être qui, seul et par ses propres efforts, est parvenu à la Bôdhi, ou à l’intelligence supérieure d’un Buddha, mais qui, suivant l’expression de M. A. Rémusat, « ne peut opérer que son salut personnel, et auquel il n’est pas donné d’atteindre à ces grands mouvements de compassion qui profitent à tous les êtres vivants. » (Foe koue ki, p. 165.) Notre légende confirme complètement les données de cette définition. Je renvoie à la note de M. A. Rémusat pour l’explication complète de ce terme, que nous reverrons plus d’une fois ; et j’ajoute seulement que les Tibétains rendent ainsi ce titre : « Celui qui est Buddha par lui-même. »