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DU BUDDHISME INDIEN.
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de Çâkya[1]. Les Sûtras sont des discours d’une étendue très-variable, où le Buddha s’entretient avec un ou plusieurs de ses disciples sur divers points de la loi, qui sont d’ordinaire indiqués plutôt que traités à fond. S’il en faut croire la tradition conservée dans un passage du Mahâ karuṇa puṇḍarîka, livre traduit en tibétain, ce serait Çâkyamuni lui-même qui aurait déterminé la forme des Sûtras, lorsqu’il recommandait à ses disciples de répondre aux Religieux qui viendraient à les interroger : « Voici ce qui a été entendu par moi, un jour que « Bhagavat (le Bienheureux)[2] était dans tel et tel endroit, que ses auditeurs

  1. Je dois rappeler ici, une fois pour toutes, l’observation qui a été faite en plus d’une occasion par MM. A. Rémusat et Schmidt : c’est que Çâkya est le nom de la race (branche de la caste militaire) à laquelle appartenait le jeune prince Siddhârtha de Kapilavastu, qui, ayant renoncé au monde, fut appelé Çâkyamuni, « le solitaire des Çâkyas, » et qui, parvenu à la perfection de science qu’il s’était proposée comme idéal, prit le titre de Buddha, « l’éclairé, le savant. » Dans le cours de ces Mémoires, je l’appelle tantôt Çâkya, c’est-à-dire le Çâkya, tantôt Çâkyamuni, c’est-à-dire le solitaire des Çâkyas ; mais je ne me sers jamais du terme de Buddha seul sans le faire précéder de l’article, parce que ce terme est, à proprement parler, un titre. On doit s’attendre à trouver ce titre expliqué de plus d’une façon dans les livres buddhiques ; et en effet, le commentateur de l’Abhidharma kôça, ouvrage dont il sera parlé plus tard, l’interprète d’autant de manières qu’on peut donner de sens au suffixe ta, caractéristique du participe passé buddha, de budh (connaître). Ainsi on l’explique par des similitudes de ce genre : épanoui comme un lotus (Buddha vibuddha), celui en qui s’est épanouie la science d’un Buddha, ce qui est, au fond, expliquer le même par le même ; éveillé, comme un homme qui sort du sommeil (Buddha prabuddha). On le prend encore dans un sens réfléchi : il est Buddha, parce qu’il s’instruit lui-même (budhyate). Enfin on y voit même un passif : il est Buddha, c’est-à-dire connu, soit par les Buddhas, soit par d’autres, pour être doué de la perfection de toutes les qualités, pour être délivré de toutes les imperfections. (Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 2 b du man. Soc. Asiat.) Cette dernière explication, qui est la plus mauvaise de toutes, est justement celle que préfère le commentateur précité. Il me paraît que Buddha signifie « le savant, l’éclairé, » et c’est exactement de cette manière que l’entend un commentateur singhalais de Djina Alam̃kâra, poëme pâli sur les perfections de Çâkya : Pâliyam pana Buddhoti kenatthena Buddho budjdjhi ta satchtchâniti Buddhoti âdinâ vuttam, c’est-à-dire : « Dans quel sens dit-on, dans le texte, Buddha ? Le Buddha a connu les vérités, c’est pour cela qu’on l’appelle Buddha, etc. » (Fol. 13 a de mon ms.) Ce commentaire n’est, on le voit, que le commencement d’une glose plus étendue, où l’on devait trouver d’autres explications du mot Buddha. Nous pouvons nous en tenir à celle-ci ; elle me paraît préférable à l’explication du Lalita vistara : « Il enseigne aux êtres ignorants cette roue nommée la roue de la loi ; c’est pour cela qu’on le nomme Buddha. » (Fol. 228 b de mon man.) La traduction des Tibétains, saint parfait (Sangs-rgyas), est prise dans l’idée qu’on se fait des perfections d’un Buddha ; ce n’est pas une traduction, et la transcription mutilée des Chinois, Fo (pour Fo to), est peut-être encore préférable. Je dois ajouter que c’est d’après ce titre de Buddha que les sectateurs de Çâkya sont nommés par les Brahmanes Bâuddhas, c’est-à-dire Buddhistes. Le Vichṇu purâṇa, au lieu de tirer ce dérivé du mot déjà formé Buddha, l’explique en le déduisant immédiatement de la racine budh : « Connaissez (budhyadhvam), s’écriait le Buddha aux Démons qu’il voulait séduire. Cela est connu (budhyatê), répondirent ses auditeurs. » (Vishṇu purâṇa, p. 339 et 340.)
  2. Le mot de bienheureux ne rend qu’une partie des idées exprimées par le terme de Bhagavat, sous lequel nous voyons Çâkyamuni désigné le plus ordinairement dans les Sûtras, et en général dans tous les livres sanscrits du Népâl. C’est un titre que l’on n’accorde qu’au Buddha, ou à l’être qui doit bientôt le devenir. Je trouve dans le commentaire d’un traité de