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me crois en paradis ; la région que je viens de quitter était inculte et barbare, et celle où je me trouve est polie, éclairée et civilisée. La vie que j’ai menée dans la chaumière que j’ai abandonnée, était celle d’un sauvage, sans la moindre communication avec personne, sans le secours des livres ; mon esprit renfermé en lui-même se trouvait privé de toutes ressources ; une nourriture grossière et le sommeil étaient mes seules jouissances. Fatigué d’une existence qui me plaçait au niveau de l’animal, j’étais honteux de m’en trouver si rapproché ; et prêtant l’oreille aux conseils de ma raison, j’ai renoncé à ce projet peu réfléchi. Je me suis rendu à Londres, j’y ai loué une chambre, j’ai envoyé chercher de l’encre, des plumes et du papier. Jusqu’à présent je n’ai encore publié que des bagatelles, le libraire ne les a point dédaignées. Je me suis par conséquent trouvé tout de suite établi ; et comparant mes nouvelles occupations avec celles que je venais de quitter, je me suis cru tout-à-coup, d’un animal privé d’intelligence, transformé en un être raisonnable.