Page:Burke Edmund - Recherche philosophique sur l origine de nos idees du sublime et du beau - 1803.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
DU SUBLIME

ne s’arrête pas sur le plaisir de la santé, ni sur la satisfaction de la sécurité ; on n’en déplore pas la perte : la pensée est toute entière aux douleurs et aux horreurs que l’on souffre. Mais écoutez les plaintes d’un amant abandonné : il s’entretient sans cesse des plaisirs dont il jouissait ou dont il espérait jouir ; ses regards abusés se fixent encore sur les perfections de l’objet de ses désirs : c’est la perte qui domine dans son âme. Les violens effets de l’amour, qui s’est quelquefois exalté jusqu’à la démence, ne peuvent être une objection à la règle que nous voulons établir. Lorsque l’imagination s’est long-tems et fortement préoccupée d’une idée, cette idée, s’en empare si entièrement, qu’elle chasse successivement toutes les autres, et dérange, détruit toutes les facultés de l’âme qui voudraient lui imposer des bornes. Toute idée suffit pour causer un pareil désordre, et la preuve en est dans l’infinie variété des causes de la folie. Mais que peut-on conclure de là ? tout au plus que la passion de l’amour est capable de produire des effets très-extraordinaires, et nullement que ses violentes émotions aient quelque analogie avec la douleur positive.