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DU GOUT

que les autres, consiste dans un sentiment d’orgueil et de supériorité qui naît de la certitude de bien penser ; mais alors ce n’est qu’un plaisir indirect, un plaisir qui ne résulte pas immédiatement de l’objet contemplé. Dans le matin de la vie, lorsque les sens, tendres encore, ne sont pas usés, que l’homme entier est éveillé de toutes parts, que le frais vernis de la nouveauté brille sur tous les objets qui nous environnent, quelles sont vives alors nos sensations, mais combien les jugemens que nous formons des choses sont faux et inexacts ! Je désespère de recevoir jamais des plus excellentes productions du génie, le même degré de plaisir que me firent éprouver à cet âge des ouvrages que mon jugement regarde aujourd’hui comme frivoles et dignes de mépris. Toute cause ordinaire de plaisir est capable d’émouvoir l’homme doué d’une âme ardente : son appétit est trop avide pour que son goût soit délicat : il est précisément dans le cas où Ovide se disait être en amour :

Molle meum levibus cor est violabile telis,
Et semper causa est, cur ego semper amem.[1]

  1. Mon cœur faible est percé des traits les plus légers, et voilà pourquoi j’aime, pourquoi j’aimerai toujours.