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DU GOUT.

qui sont les qualités dont se compose ce qu’on appelle communément goût, varient excessivement dans les diverses personnes. L’absence de la première de ces qualités produit un manque de goût ; la faiblesse de la seconde constitue un goût faux ou mauvais. Il est des hommes d’un tempérament si froid et si flegmatique dont les sentimens sont si émoussés, qu’on pourrait douter s’ils sont éveillés durant tout le cours de leur vie. Les objets les plus frappans ne font sur de pareils êtres qu’une impression faible et confuse. D’autres sont tellement emportés dans une continuelle agitation de plaisirs grossiers et purement sensuels, ou si fortement attachés au vil trafic de l’avarice, ou si animés à la poursuite des distinctions et des honneurs, que leurs esprits, accoutumés aux tempêtes de ces passions violentes et orageuses, peuvent à peine être mis en mouvement par le jeu délicat et épuré de l’imagination. Ces derniers, quoique par une cause différente, deviennent aussi stupides et insensibles que les premiers ; mais lorsqu’il leur arrive, aux uns et aux autres, d’être frappés par quelque chose de naturellement grand ou élégant, ou par quelque ouvrage de l’art qui réunit ces qualités, ils sont émus d’après le même principe.