Page:Burke Edmund - Recherche philosophique sur l origine de nos idees du sublime et du beau - 1803.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
DU GOUT

usage, combiné avec l’effet agréable, en a rendu le goût même agréable. Mais cela ne met aucune confusion dans nos raisonnemens, parce que nous distinguons toujours le goût acquis du goût naturel. En décrivant le goût d’un fruit inconnu, à grand peine vous direz qu’il avait une saveur douce et agréable comme le tabac, l’opium ou l’ail, quand bien même vous vous adresseriez à un homme qui ferait un continuel usage de ces choses, et qui y trouverait un grand plaisir. Tous les hommes conservent un souvenir assez vif des causes naturelles et primitives du plaisir, pour qu’ils puissent rapporter à ce modèle tous les objets offerts à leurs sens, et y rêgler leurs sentiment et leurs opinions. Que l’on présente un bol de scilles[1] à un homme dont le palais serait assez dépravé pour être plus flatté du goût de l’opium que de celui du beurre ou du miel : il n’y a pas de doute qu’il préférera le beurre ou le miel à ce mets nauséabond, et à toute autre drogue amère à laquelle il n’aura pas été accoutumé ; ce qui prouve que son palais était naturellement semblable en toutes choses à celui des autres hommes, qu’il y est toujours semblable en plusieurs choses, et qu’il est dé-

  1. Oignons marins fort âcres.