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DU SUBLIME

force nous touche de pitié : il ne paraît pas même que le poète, si profond dans la connaissance du cœur humain, ait eu dans ces circonstances le dessein d’exciter cette passion. C’est Simoisius, enlevé dans la tendre fleur de la jeunesse à ses parens, qui tremblent pour un courage si inégal à sa force ; c’est un autre que la guerre arrache aux embrassemens d’une nouvelle épouse, jeune, beau et novice dans les combats, c’est le sort fatal et trop précipité de ces jeunes guerriers qui nous attendrit, et fait couler nos larmes. Achille, malgré les traits de beauté dont Homère s’est plu à embellir sa forme extérieure, malgré les grandes vertus dont il a paré son ame, Achille ne peut inspirer l’amour. On peut remarquer qu’Homère, voulant nous intéresser au sort des Troyens, leur a donné infiniment plus de ces vertus douces et aimables qui appartiennent à la vie privée, qu’il n’en a distribué parmi ses Grecs. C’est la passion de la pitié qu’il s’est proposé d’exciter en faveur des Troyens, passion fondée sur l’amour ; et ces vertus inférieures, que je puis nommer domestiques, sont certainement les plus aimables. Mais il a donné aux Grecs une grande supériorité dans les vertus politiques