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VENISE.

d’une bonne ornementation portent un plafond de bois, auquel elles sont reliées à l’aide de consoles de bois d’une forme exquise. L’édifice sert maintenant de vestibule au couvent des Dominicains, devenu un hôpital. — La façade est un des grands monuments historiques de l’ancienne vie de Venise, dont elle exprime le sourire et l’élégance. Mais, à l’égard de la valeur artistique, qu’il suffise de remarquer ces arcs de tous degrés alternant entre eux et avec des pignons, ces colonnes des fenêtres accompagnées de pilastres larges comme la main et surchargées d’ornements[1]), ces étages à peine distincts les uns des autres, cette frise et le rinceau avec ses griffons reliant les chapiteaux qui semblent se faire concurrence, etc. Non qu’il nous plaise de gâter le plaisir du spectateur, mais il convient de ne rien ôter aux grands architectes toscans de leur supériorité sur les décorateurs de Venise. Ces derniers d’ailleurs sont uniques dans une œuvre qui leur est propre, je veux dire les terminaisons supérieures des façades, avec leurs ornements à jour, d’une exécution si riante.

La petite avant-cour de S. Giovanni Evangelista [a], plus ancienne de quelques années (1481), également dans le style des Lombardi, est un gracieux fragment de Scuola : deux murs avec pilastres, au fond le mur avec la porte de la cour intérieure ; c’est tout, et c’est à la fois merveilleux et charmant. (Au fond, dans la cour un fragment de façade d’église de l’an 1512, qui déjà se rapproche du style classique.)

Mais la palme est à la Scuola di San Rocco [b] (1517-1550), d’après un projet de Bartolommeo Buon le jeune (?), exécutée par une série d’architectes y compris Sansovino. La porte, de 1536, est de Scarpagnino. Ici il ne s’agit plus seulement de pilastres à riches montants : ce sont des colonnes ornées de fleurs en saillie sur deux étages avec leurs entablements ; des fenêtres pompeuses, une frise supérieure richement ornée de figures, une incrustation de pierres de couleur qui achève de donner l’impression d’un luxe féerique. Les autres faces de l’édifice, qui est de toutes parts isolé, sont de même richement ornées ; à l’intérieur, toute la galerie d’en bas est, avec plus de luxe, la copie de celle de la Scuola di S. Marco, de même que l’escalier, qui date de la même époque. (Dans l’église voisine de S. Roceo, la façade, ajoutée plus tard, est construite sur le modèle de la façade de la Scuola.) Le monument est d’un tel effet que ce serait peine perdue que de vouloir y relever le défaut de proportions. Le jeu des formes a trop de charme, et l’œil s’en contente.

À citer comme constructions moindres et plus simples : la Scuola près de S. Spirito [c] ; — de Jac. Sansovino (voy. plus loin) : la Scuola di S. Giorgio de’ Schiavoni [d] ; — de son élève Aless. Vittoria : la Scuola di S. Girolamo [e]. Le baroque tardif lui-même cherche à rivaliser,

  1. Au rez-de-chaussée, un étrange effet de trompe-l’œil en perspective profonde avec lions en relief saillant. (V. plus haut, Bramante, p. 112.)