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l’Arco de’ Leoni [a], n’est pourtant pas entièrement conçue dans le style mesquin de la Porta de Borsari ; la niche supérieure à laquelle on a donné ici le cadre le plus riche, des colonnes cannelées en spirale, ferait très bon effet comme couronnement, si elle était ornée d’un groupe sculpté. Un troisième monument véronais, l’Arco de’ Gavi [b], voisin du Castel-Vecchio, fut détruit en 1805. Différents autels de la renaissance, époque ou l’on admirait beaucoup ce monument, en présentent des imitations : par exemple, l’autel des Alighieri qu’on voit à S. Fermo [c] dans la nef transversale de droite. C’est l’œuvre d’un architecte qui descendait du Dante. Tel est encore le quatrième autel à droite dans l’église S. Anastasie [d]

Le type de la porte romaine dans sa forme la plus imposante ne se complète que dans une imitation très tardive, à peu près du sixième siècle : la Porta Nigra à Trèves. C’est la seule qui montre tout le développement que comportait le double passage dont la profondeur fait un large monument avec deux étages supérieurs à jour et deux avant-corps de bâtiment semi-circulaires qui le décorent à l’extérieur. D’ailleurs la Gaule ancienne renferme encore des portes plus monumentales que l’Italie romaine.


Les bâtiments d’utilité les plus simples prennent sous les mains romaines un caractère sinon artistique, du moins toujours monumental. Le principe initial de construire avec toute la perfection et la solidité possibles indique une pensée de durée éternelle, dont notre temps ne peut se vanter pour ses édifices d’utilité les plus considérables, parce que, en fait, il construit seulement « jusqu’à nouvel ordre », avec l’arrière-pensée d’innovations possibles et des changements qui en résulteraient. Nos édifices ne donnent aussi que rarement l’impression sans mélange de la profusion des ressources, parce qu’ils sont exécutés par spéculation et par soumission. Cette manière de voir est celle des étrangers qu’on entend parfois critiquer à Rome, par exemple, les aqueducs [e] immenses qui traversent la Campagne. Pourquoi amener du dehors tant d’eau dans la ville ? et, s’il le fallait, ne pouvait-on atteindre le même but avec le tiers de ces dépenses ? C’eût été toujours une bonne affaire. À cela il n’y a absolument rien à répondre,sinon qu’un jour l’histoire du monde a voulu un peuple qui essayât de marquer tout ce qu’il faisait du sceau de l’éternité, de même qu’aujourd’hui elle donne aux peuples d’autres missions. Au reste, l’ancienne Rome avec ses dix-neuf conduites d’eau en « perdait beaucoup par le fait, c’est-à-dire qu’elle la distribuait », pour le plus bel ornement de toute la ville, entre d’innombrables fontaines[1] ; une quantité énorme alimentait aussi les thermes, encore un luxe aux yeux des peuples modernes, qui ont déclaré qu’il était en somme inutile de se bai-

  1. La seule qui soit encore reconnaissable est la fontaine appelée Meta Sudans [f] près le Colisée.