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tard entre les mains des Romains. (Voir le monument choragique[1] de Lysicrate à Athènes, anciennement appelé Lanterne de Démosthènes.)

Cependant les Romains ont plus aimé, mieux compris et mieux mis en œuvre cet ordre que les deux autres ; et même, si l’on compare la perfection du style corinthien dans le Panthéon et le temple de Mars Ultor avec les autres travaux des artistes grecs si nombreux dans la Rome d’alors, il sera bien permis de penser qu’ici, au moins par endroits, une tradition grecque encore assez directe parle à notre sens artistique.

La forme, les proportions, l’épaisseur de la colonne corinthienne, lui sont entièrement communes avec la colonne ionique ; la base et les cannelures, quand il y en a, sont aussi les mêmes. Mais le chapiteau forme une corbeille cylindrique revêtue de deux rangs de feuilles d’acanthe. De ces feuilles s’élancent des tiges[2] qui soutiennent les volutes, fortement enroulées ; celles-ci, réunies deux à deux, forment les quatre coins très saillants du chapiteau. Elles sont surmontées d’un abaque à courbes rentrantes interrompues au milieu par une fleur[3].

Celui qui a la patience de considérer dans les meilleurs édifices romains un chapiteau bien conservé, sera étonné de l’intensité de vie idéale qu’il exprime. L’acanthe est bien, de nature, la plante connue sous le nom de griffe d’ours ; mais qu’on en cueille, par exemple, une feuille sur les vertes hauteurs de la Villa Pamfili, et l’on se convaincra, en lui comparant l’acanthe architecturale, qu’il fallait du génie pour la transformer ainsi. Conçue à nouveau, réalisée dans une matière plastique, elle acquiert une élasticité et une souplesse, une richesse de contours et de modelé dont les linéaments existent à peine à demi cachés dans l’acanthe griffe d’ours. La manière dont les feuilles s’étagent et se réunissent est également digne d’admiration, ainsi que la manière dont elles s’élèvent pour former les volutes des coins. Ces feuilles-là, qui offrent la plus haute expression visible de la force, sont avec raison imitées plus librement, c’est-à-dire moins selon les lois de la botanique ; mais une feuille d’acanthe naît avec elles de la même tige pour les soutenir et, en quelque sorte, les expliquer. Chaque partie de ce tout, d’un effet si souple, se distingue clairement du reste, et les nombreux évidements au travers desquels la corbeille, centre du chapiteau, apparaît aux yeux, donnent comme fond au feuillage ces ombres intenses qui le font paraître vraiment vivant.

Le chapiteau dit composite n’est qu’une simple variété du chapiteau corinthien, appliquée pour la première fois avec certitude à l’arc de

  1. Le chorège qui recevait le prix avait quelquefois à faire bâtir une colonne ou un edicule en forme de temple, dans lequel était placé le trépied qu’il avait reçu en récompense.. Il y avait à Athènes une rue entière composée de ces monuments choragiques ; aussi l’avait-on appelée la voie des Trépieds. (N. du Tr.)
  2. Le nom technique est tirette de culot. (N. du Tr.)
  3. Le nom technique est œil ou rose du tailloir. (N. du Tr.)