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Même les bustes et les statues en pied de la meilleure époque romaine sont si peu flattés, qu’on a reproché à l’art romain une représentation du réel par trop rude et sobre. La comparaison avec les statues et les têtes grecques demi-idéales de princes, de poètes et de philosophes est injuste, parce que l’art romain faisait le portrait, non pas des grands hommes morts depuis longtemps, mais du premier venu ; il avait donné parfois, pour ses empereurs divinisés, l’interprétation monumentale la plus élevée possible ; cependant, si nous possédions les statues d’un Virgile on d’un Horace de l’époque impériale, nous y trouverions peut-être exprimée une certaine élévation, et néanmoins certainement quelque chose de plus réaliste que dans l’Aristide, l’Euripide, le Démosthène, etc., que l’on vante avec raison comme des modèles de sculpture idéale[1].

D’ailleurs, cet art possédait aussi un avantage pour les statues entières, du moins pour celles des personnages marquants. Le costume le plus digne qui ait jamais revêtu le corps d’un homme sérieux, est toujours l’ample et splendide toge romaine avec son double repli sur l’épaule gauche. Le bras gauche peut en sortir librement ou s’y cacher le bras droit reste, avec l’épaule droite, ou bien tout à fait libre pour le geste le plus noble, ou bien la toge est tirée le long de l’épaule, ou bien elle est, pendant le sacrifice, tirée par-dessus la tête, qu’elle fait ressortir sur l’ombre avec une dignité indescriptible. La jambe gauche est ordinairement celle qui soutient le corps, la droite est courbée. Lorsque cette draperie fut introduite dans le domaine de l’art, on ne l’abandonna plus. Des milliers de statues ont été créées d’après ce motif, jusqu’aux temps les plus modernes. Le spectateur remarquera avec une admiration toujours croissante, dans celles qui datent des meilleurs siècles, la liberté avec laquelle les artistes ont traité le sujet donné. Elles le feront penser peut-être à maint de nos portraits sculptés actuels et à leur manteau de cavalerie, qui, avec la tête découverte, éveillent l’idée que le sujet s’est fait représenter en hiver pendant un discours tenu debout.

Le jeune Romain qui porte la toge de la manière habituelle, et qui a sur la poitrine une bulle ou un amulette, montre combien ce costume convient à des figures jeunes (Musée de Naples [a], 2e corridor).

De cette collection très importante de statues, dont même les plus médiocres sont dignes d’être remarquées, nous n’en citerons qu’une seule : celle qui est appelée Marcellus, assise, dans la salle des Philosophes du Musée Capitolin [b] ; c’est à coup sûr l’image d’un homme d’État et d’un orateur distingué. Elle ne fait pas impression seulement par le costume, beau et merveilleusement travaillé, mais aussi par le caractère de la pose, qui s’exprime dans chaque pli.

Nous mentionnerons, à l’occasion, d’autres figures en toge. Pour celles

  1. La statue demi-idéale d’une poétesse romaine (si nous désignons avec justesse une figure au-dessous de grandeur naturelle trouvée en 1851 au Braccio Nuovo du Vatican (no 37) [c]), donnerait en quelque mesure raison à une hypothèse semblable.