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intempéries, portent sur leur queue relevée de jeunes et jolies Néréides et se mêlent à toutes sortes de monstres des flots, chevaux, griffons, boucs, taureaux, dragons de mer, etc., que les tritons s’amusent à lutiner, à nourrir ou à dompter. Ce sont des scènes de la vie intime du monde marin personnifié, qui sont traitées ici avec une intention comique.

Au contraire, sur les sarcophages, les vieux tritons ont ordinairement une expression sévère et triste.

On conçoit que les néréides, nues ou à peu près, étaient toujours des figures jeunes et gaies. Il n’existe guère en ce genre d’œuvres remarquables, mais nous avons des statuettes de conception charmante, bien que d’exécution trop souvent médiocre. Ce sont de gracieuses néréides chevauchant sur des béliers de mer (exemplaires dans plusieurs endroits). La seule œuvre importante en marbre, la Néréide florentine [a], sur un cheval marin (2e corridor des Uffizi), révèle, malgré les mutilations et la restauration, un motif si charmant que dans cette décoration de fontaine, œuvre d’un artiste romain, on croit voir l’imitation d’une figure de Skopas.


Lorsque l’art antique, probablement après le temps de Praxitèle, cherchait une expression du beau, toujours plus frappante, il en arriva à créer l’Hermaphrodite, dont un mythe déjà existant Iui fournit l’idée. Mais cette tentative n’eut pas un entier succès. On pouvait, tout en observant rigoureusement les lois du beau, donner à Bacchus la délicatesse fémimne, aux Amazones l’expression héroïque et virile. C’était là une simple fusion des caractères virils et féminins qui peuvent être le sujet d’une représentation idéale. Mais dans l’Hermaphrodite ce sont les attributs visibles des deux sexes qu’on réunit sur un même corps, comme s’ils constituaient la beauté et devaient l’exprimer avec deux fois plus de puissance. On oubliait d’abord que tout ce qui est monstrueux détruit a priori la jouissance et la remplace sinon par l’horreur, du moins par l’inquiétude et la curiosité ; ensuite que le beau n’existe et n’est concevable que suivant des caractères déterminés et suivant leurs rapports, et qu’il s’évanouit par des fusions arbitraires de caractères différents [1]. Néanmoins on fit tout ce qu’on put pour répandre sur les formes de cet être le plus grand charme sensuel ; on imagina aussi pour l’Hermaphrodite des situations particulières, sur les bas-reliefs par exemple, où on le mêla à tous les gens de la suite de Bacchus ; mais il resta, malgré tout, un être venant d’un monde étranger et abstrait. Comme on ne connaissait de lui aucune action particulière, on le représenta le plus souvent

  1. Les centaures, tes tritons, les chevaux marins, etc., ne sont pas monstrueux, non seulement parce que la foi fondée sur la Fable est plus forte que l’évidence et que le doute, ce qui pourrait aussi se soutenir pour l’Hermaphrodite, mais parce qu’ils ne prétendent pas représenter des êtres organiquement constitués. Ces figures sont un assemblage symbolique et hardi de caractères divers, et non pas des êtres dans lesquels sont réunis des caractères contradictoires.