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reliefs et des peintures, ainsi que des descriptions des poètes. Il est évident que jamais les combinaisons de l’artiste ni celles du chercheur ne reconstitueront le cortège bachique tel que Skofas ou Praxitèle le voyaient passer en imagination. L’art grec plus moderne ne se lassa jamais d’enrichir ce cycle de scènes et de motifs nouveaux. Lorsque les Grecs eurent conquis l’Orient, ils symbolisèrent leurs propres exploits en représentant Bacchus comme le vainqueur des Indes, et son cortège comme celui d’un triomphateur dont faisaient partie les rois d’Orient faits prisonniers, les chariots pleins de trésors et des animaux de trait asiatiques. Les sacrifices, les festins, les fêtes, les danses bachiques, etc., furent variés à l’infini, et toute la décoration des maisons et des ustensiles domestiques fut inspirée des sujets et des symboles bachiques.


Abordons maintenant le groupe remarquable qui fait pendant à celui de Bacchus.

À propos de Neptune, nous avons déjà indiqué que l’art antique symbolisait le côté triste et furieux de l’élément liquide. Mais plus tard le cortège des divinités de la mer se transforma, d’après le cortège bachique, en un groupe bruyant, voire même joyeux, probablement à la suite d’une œuvre célèbre de Skopas, et les Tritons empruntèrent aux satyres leurs oreilles, aux centaures les pieds de devant qui donnent à leur buste sa véritable base par rapport à la queue de poisson qui termine leur corps. Cependant le triton, même le plus jeune, a le plus souvent une expression meIancolique et passionnée qui se révèle dans les yeux profondément enfoncés, les sourcils particulièrement froncés et arqués, la bouche belle, mais tournée d’une façon convulsive, et le front sillonné de rides. Tel est le superbe torse de Triton du Vatican [a] (galerie des Statues). Tout auprès (salle des Animaux) est le groupe bien conservé d’un Triton qui enlève une Néréide et porte de petits Amours à cheval sur sa queue [b] ; œuvre parfaitement conçue, mais d’une exécution très inégale. Le profil du cou est fortement accusé, ce qui ajoute sensiblement à l’expression de passion et d’effort. Ce groupe décorait sans doute une fontaine.

Une belle et vivante figure de jeune homme à cheval sur un dauphin, dans la salle égyptienne de la Villa Borghese [c], exprime par ses traits et ses gestes la souplesse et la joie, Mais cette figure tout humaine n’est pas un triton, c’est plutôt Palémon, et d’ailleurs la tête, qui est d’un satyre, provient d’une autre statue. Elle mérite d’être particulièrement remarquée comme l’un des plus jolis motifs de décoration pour une fontaine. L’eau jaillissait de la bouche du dauphin.

Chez les tritons, la jeunesse n’est pas toujours unie à une belle et grave tristesse ; il y a encore, pour ainsi dire, des Silènes de la mer, vieux, barbus, à l’air gai, ou à la fois triste et comique. Ils sont immortalisés dans la mosaïque de la Sala rotonda au Vatican [d] ; l’œuvre provient des thermes d’Otricoli. Ces divinités de la mer, hâlées par les