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donnés, C’est la pensée ayant pris une forme humaine, non la rêverie ou la méditation subtile (comme dans la Mélancolie de Dürer), mais un tranquille bercement au sein d’un bonheur spirituel. Ces figures, la plupart solennellement drapées, sont occupées ou au repos et regardent devant elles, jamais en l’air ; nous les trouvons assises, appuyées, debout sans aucun appui, ou s’avançant majestueusement, mais le plus souvent la posture et le vêtement aident tellement à relever l’expression, que, même sans la tête, on ne peut prendre la statue que pour une Muse ou l’imitation d’un original représentant une Muse. Quelques sarcophages qui représentent toutes les Muses (il y en a un au Museo Capitolino [a], salle des Empereurs) nous donnent une idée des groupes de figures, différentes entre elles, que l’antiquité a conçus, puis reproduits. Le groupe le plus complet, qui provient de la villa de Cassius (Vatican [b], salle des Muses), est d’un travail qui laisse souvent à désirer, mais c’est plaisir de suivre la belle gradation de la pensée sans élan soudain dans l’inspiration. La plus gracieuse de ces figures, comme invention, l’Euterpe qui est assise et appuyée, n’a été sans contredit ajoutée au groupe que plus tard, de même que l’Uranie. Les deux noms ne doivent, du reste, leur existence qu’a l’artiste qui a restauré cette œuvre ; mais, somme toute, on peut mettre ces types au nombre des Muses. Ailleurs, par exemple dans les deux statues qu’on voit à Naples [c], Euterpe est représentée debout, les pieds placés l’un sur l’autre.


En revanche, l’Apollon musagète [d], dans sa longue robe de joueur de cithare et son manteau flottant, s’avançant la lyre à la main et couronné de laurier, faisait primitivement partie de ce groupe, dont il est même la figure la mieux travaillée. Autrefois on voyait dans cette statue l’imitation d’une œuvre de Skopas, mais on n’avait pas à cet égard de preuve positive. Aucun autre Apollon n’a cette figure de protecteur et d’inspirateur d’idéal ; l’expression générale de l’art se concentre merveilleusement dans ces traits tout juvéniles et presque féminins. Lui seul est animé dans l’âme et dans les membres ; bientôt les Muses entreront dans la danse où il les précède déjà. — Tout près (même salle) se trouve, comme un terme de comparaison, un autre guide des Muses [e] dont la démarche et le vêtement semblent affeetés, et à qui on a donné une tête de Bacchante qui ne lui appartient pas.

Dans la même salle se trouve encore une Muse de moindres proportions, dite Mnémosyne [f]. Il est regrettable que cette figure voilée, d’une invention charmante, ait une tête restaurée. — Des quatre statues en. question exposées dans la salle des Muses, Villa Borghese, la Melpomène [g] seule est mieux exécutée que l’exemplaire correspondant du Vatican [h] ; elle l’est juste assez pour rehausser le prix de ce merveilleux original de Vierge appuyée du pied gauche sur un rocher et la chevelure ornée de pampres. — Plusieurs statues de Muses dans la Villa Ludo-