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Il n’est rien de plus triste que la décadence finale des statues d’athlètes. La Rome impériale conçut, en effet, un tel enthousiasme pour les conducteurs de chars et les gladiateurs que leurs vivants portraits avec leur nom devinrent à la mode. De ce genre sont déjà les figures en mosaïque enlevées aux thermes de Caracalla et qui se trouvent aujourd’hui dans une salle supérieure du Palais de Latran [a], ainsi que celles datant du quatrième siècle que l’on voit dans la salle principale de la Villa Borghese [b]. Des sarcophages même, un entre autres dans le premier corridor des Uffizi [c], portent des images de conducteurs de chars avec leur nom. La Sala della Biga au Vatican renferme une statue de conducteur de char [d], représenté en grandeur naturelle, à la tête duquel on a substitué une tête antique. Les anciens Grecs aussi avaient commencé par représenter tel ou tel athlète en particulier, mais ils avaient élevé ces figures à un niveau général de beauté, et bientôt elles ne furent plus pour eux que des motifs pour représenter de belles formes variées.


On ne peut s’étonner que parfois les statues de guerriers grecs ne soient pas faciles à distinguer des statues d’athlètes. Dans une des plus célèbres statues de l’antiquité, le Combattant, provenant du palais Borghèse (aujourd’hui au Louvre), on n’a pu de longtemps s’accorder à reconnaître soit un lutteur, soit un guerrier. La pose semble indiquer un guerrier, mais les formes sont celles d’un athlète entièrement développé ; il n’est pour ainsi dire pas d’autre statue qui les accuse à ce point. (Il ne peut être question d’un gladiateur romain.)

Mais on reconnaît sans nul doute des guerriers dans un certain nombre de statues, soit isolées, soit appartenant à l’origine à un groupe de combattants. Dans les premières, nous comptons ce beau guerrier [e] de la Villa Ludovisi (salle principale) assis à terre pour se reposer on pour veiller, œuvre d’un excellent travail que nous avons mentionnée tout à l’heure en parlant de Mars. Parmi les statues de marbre du Musée de Naples [f], les deux qui se font face (corridor 3), et qui sont malheureusement retouchées, comme bien d’autres pièces de la vieille collection Farnèse, sont, ainsi que les recherches de Friederichs l’ont démontré, des copies des statues élevées à la montée de l’acropole d’Athènes, en l’honneur des tyrannicides Harmodius et Aristogiton. Des médailles et un relief nous représentent leur groupement primitif : le plus jeune lève le bras pour frapper ; le plus âgé, debout à son côté, étend son manteau pour le couvrir. La tête de l’un, la seule qui soit restée intacte, rappelle encore directement, avec ses boucles symétriques et son menton accusé, le type des sculptures d’Égine. D’autres figures (salle de Flore) sont peut-être de belles conceptions isolées d’un artiste grec, tirées d’une de ces scènes de combat qui avait pour but de représenter une action très importante, resserrée et concentrée pour ainsi dire dans un petit nom-