Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous présentent ces traits divins. L’une, la Junon qu’on voit dans la grande salle de la Villa Ludovisi à Rome [a], fit autrefois à Gœthe l’impression « d’un chant d’Homère », et en effet il est rare que les proportions et la beauté grecques parlent à l’âme un langage si intelligible. L’autre tête, conservée au Musée de Naples (corridor 3) [b], fait revivre dans un beau style grec primitif un type plus ancien et plus sévère[1] à la pleine majesté duquel il manque la grâce, c’est l’œuvre d’un temps où l’art grec n’avait pas encore atteint à la grandeur et à l’harmonie parfaites. C’est encore la Junon homérique, impitoyable[2], tandis que celle de la Villa Ludovisi exprime une douceur royale. Une grâce divine réside essentiellement dans les lignes de la bouche et dans les parties des joues qui sont voisines, ainsi que dans les yeux, de grandeur moyenne, dont le dessin est très doux. Combien, au contraire, sont dures et prononcées les paupières de la Junon napolitaine ! Le seul défaut est la restauration du bout du nez, qu’il faudrait tâcher de se dissimuler. La galerie supérieure du Capitole possède de belles têtes colossales [c]. Ce type noble dégénère et aboutit à une expression fine et rusée, ou simplement gracieuse, ou même coquette. Un grand nombre de bustes en font preuve. Nous mentionnons seulement ceux qui rappellent encore d’une manière sensible l’idéal premier.

À la Villa Ludovisi, dans la même salle dont nous avons déjà parlé, une grande Junon d’après un original grec, avec voile, diadème et tunique tissée [d]. Dans le vestibule, une Junon romaine de moindres dimensions [e], et surtout une tête colossale [f] de style primitif, très intéressante pour l’histoire de l’art, car elle offre un original datant des commencements de l’art grec. — Une belle tête romaine, d’expression douce, se voit au Vatican, Broccio Nuovo, no 112 ; on l’appelle la Juno Pentini [g]. — Une autre tête dans la galerie supérieure du Museo Capitolino [h]. — Une Junon de mine galante [i] au Musée de Naples (salle 1). Une des têtes de Junon les plus sévères, de l’époque romaine [j], aux Uffizi de Florence (salle d’Hermaphrodite). — Un très beau buste [k], peut-être grec, d’un travail superficiel, très gratté et horriblement défiguré par un nez moderne, se trouve au Palais des Doges à Venise (Sala de’ Busti). Des palmettes et deux griffons ornent le diadème.


La Matrone par excellence entre les déesses, la Mère, dans le sens le plus large du mot, était autrefois Cérès (Demeter). L’art primitif lui donna en conséquence, avec la jeunesse, attribut de toutes les déesses, non pas, il est vrai, la dignité royale de Junon, mais cependant une

  1. On la regarde aujourd’hui, non sans conteste, comme une œuvre de Polyclète ; les parties voisines des paupières inférieures sont quelque peu retouchées.
  2. Dont on reconnaît quelques traits adoucis dans la statue de la Villa Borghèse, mentionnée plu haut.