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N’insistons pas sur les administrations modernes des galeries et leurs restaurations ; on ne peut qu’admirer leur savoir-faire et leur bonheur, quand elles ont aussi bien réussi que dans le dernier exemple cité. Mais dès l’antiquité il y eut des faits analogues. Non seulement les têtes des statues étaient jetées à bas et remplacées par d’autres, selon les révolutions politiques et les changements de gouvernement, mais les sculpteurs, au moins ceux de l’époque romaine, devaient avoir en réserve un certain nombre de statues sans têtes auxquelles ils donnaient, après la commande, une figure et une ressemblance. Cela s’accordait parfaitement avec la coutume des grands, établie depuis Alexandre, de se faire représenter sous les traits d’une divinité, ainsi qu’avec la mode romaine des derniers siècles de faire entrer dans l’exécution des statues plusieurs sortes de pierres. À la fin, le choix de la tête de marbre qui serait adaptée à la draperie d’albâtre ou de porphyre devint chose tout à fait indifférente.

Tout cela doit disposer le visiteur à la circonspection. Il existe assez d’œuvres authentiques et bien conservées pour qu’on arrive, grâce à une observation persévérante, à se former le jugement. Si l’on est choqué de telle ou telle restauration, qu’on s’efforce d’en imaginer une meilleure ; c’est à coup sûr une des plus nobles occupations que puisse inspirer à un esprit méditatif la contemplation des œuvres antiques.

Les restaurations, comme bien on pense, sont souvent facilitées par l’existence d’exemplaires mieux conservés de la même œuvre. Il ne peut y avoir aucun doute, par exemple, sur la restauration du Satyre qui portait autrefois, à ce que l’on croit, le surnom d’« illustre » (periboëtos) et que possèdent toutes les collections, souvent à plusieurs exemplaires. Mais pour bien des œuvres les artistes sont réduits à des analogies, notamment à l’étude des bas-reliefs, où du moins le modèle de la figure qu’ils ont entre les mains se trouve complet. Pour le détail et le mouvement des bras et des jambes surtout, chacun est guidé par son sentiment et par son étude de l’antique.

Les objets décoratifs en marbre et en pierre, tels que les candélabres et les vases, sont, comme on l’a remarqué plus haut, souvent aux deux tiers restaurés d’aprés un fragment quelconque ; pour les vases, le pied est rarement ancien, les anses et le bord supérieur sont le plus souvent complétés d’après les parties qui en restaient. Sur les bas-reliefs on a quelquefois rétabli plusieurs figures d’après les moindres indications de pieds, d’ustensiles, de draperies et autres détails de ce genre.

Plus la découverte et la restauration d’une œuvre est récente, plus on la trouvera (en général) consciencieusement traitée. Les grands progrès de l’archéologie et des études comparées, depuis un siècle, ont eu ici la plus salutaire influence. Les restaurations d’artistes antérieures par exemple dans les vieilles collections Farnèse et Médicis et dans bien des collections romaines particulières, étaient plus d’une fois non seulement contraires au style et même à la raison, mais entraînaient malheureuse-