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L’exécution des ornements et des figures qui animent l’ensemble est très variée selon le sentiment de l’artiste et de celui qui le dirige. Le milieu des parois monochromes était la place naturelle de peintures encadrées, aussi bien que de personnages isolés ou de groupes peints sur le fond coloré lui-même[1] ; ailleurs les personnages apparaissent entre des colonnettes et des balustrades, comme les habitants des édifices qui sont figurés. Les paysages s’étendent, soit au milieu des parois colorées, soit devant les bâtiments d’une manière souvent bien étrange.

L’architecture figurée est affranchie des conditions de la matière ; nous ne voulons pas dire spiritualisée, parce que le résultat n’est qu’un jeu léger et aimable, et parce que les vraies formes de l’architecture grecque ont un sens élevé et austère dont on n’a pris ici, pour ainsi dire, que la fleur. Cependant nous saurons toujours priser et admirer les décorateurs pour la manière d’atteindre leur but. Ils avaient bien raison de ne pas s’attacher à imiter l’architecture réelle, avec une perspective linéaire et aérienne visant à l’illusion. De tels essais, comme le prouvent tant d’exemples dans l’Italie actuelle[2], sont d’un effet lamentable auprès de vraies colonnes et de vrais entablements, et perdent toute valeur à, la moindre atteinte du temps, au lieu que l’architecture idéale de ces vieux Pompéiens, même avec ses couleurs pâlies, réjouira les yeux et le sens artistique dans la suite des siècles.

Colonnettes, entablements et frontons sont, pour ainsi dire, d’une matière idéale dans laquelle la force et le poids, la masse qui soutient et celle qui est soutenue, n’entrent dans les calculs qu’à l’état de réminiscence[3]. Les colonnettes deviennent soit des tiges grêles dorées avec des cannelures, soit des roseaux dont chaque nœud pousse une feuille, comme on voit à maint candélabre ; parfois elles ont un riche revêtement, même une figure humaine s’en dégage et s’élève en manière de support. Les entablements, qui souvent sont richement recoupés, apparaissent tout à fait minces, saillants à la partie inférieure, munis le plus souvent d’un rang de consoles, rarement d’une architrave complète, d’une frise et d’une moulure couronnante. La même légèreté de facture se montre dans les frontons, qui sont arbitrairement brisés, partagés en

  1. Je n’ose décider si le coloris de ces peintures est vraiment en harmonie constante avec la couleur rouge, verte, etc, de la paroi correspondante. Les meilleures peintures justementont perdu en passant au Musée da Naples leur rapport avec la couleur du fond.
  2. À Pompéi, la Casa del Labirinto [a] en est un exemple unique.
  3. La décoration gothique pure suit à cet égard de tout autres lois ; elle est presque toujours, dans les décorations murales, les sièges et même les ornements délicats, d’une conception architecturale sévère et répète partout les niches, les socles, les fenêtres, les arcs boutants, les pyramides et les fleurs dans les plus petites proportions comme dans les plus grandes. Elle n’avait pas besoin, comme l’architecture antique, de cette sorte d’affranchissement de la matière, parce que sa loi intime, le développement vers le haut, est justement la domination sur la matière. Dmis les stalles du chœur, les autels, etc., du gothique plus récent, apparaît une dégénérescence des formes, qui deviennent frêles et transparentes, tant soit peu analogues à la décoration pompéienne.