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reux don de savoir en trois mots peindre un homme. Ce talent de saisir d’un coup d’œil ies traits caractéristiques d’un individu est une condition essentielle de la connaissance du beau et de la faculté de le décrire. Sans doute, chez les poëtes l’abondance des détails dans une description peut être un défaut, attendu qu’un trait unique, inspiré par la passion, donnera au lecteur une idée bien plus nette et plus forte de l‘objet à dépeindre. Nulle part Dante n’a fait un plus magnifique éloge de sa Béatrice, que lorsqu’il se contente de peindre le reflet qui s’échappe d’elle et qui rayonne, pour ainsi dire, sur tout ce qui l‘entoure. Mais il s’agit ici moins de la poésie, qui poursuit son but particulier, que de la faculté de peindre par des mots la beauté matérielle aussi bien que la beauté idéale.

Ici Boccace se distingue entre tous, non pas dans le Décaméron, attendu que la nouvelle interdit les longues descriptions, mais dans ses romans, où le temps et Tcspace ne lui manqueut pas. Dans son Ameto, il décrit [1] une blonde et une brune à peu près comme un peintre les aurait peintes cent ans plus tard, — car ici encore la culture précède l‘art de beaucoup. Chez la brune (ou plutôt la moins blonde), apparaissent déjà quelques traits que nous appellerions classiques : ses mots « la tpaziosa testa e dictera » nous font deviner des formes qui dépassent ce que nous nommons mignon ; les sourcils ne forment plus deux arcs comme dans l‘idéal des Byzantins, mais une ligne presque continue ; le nez est à peu près aquilin [2] ; la poitrine large, les bras d’une

  1. Parnasso teatrale, Lipsia, 1829, Introd., p. VII.
  2. Le texte est évidemment altéré. Le passage est ainsi conçu {Ameto, Venezia, 1586, p. 54} : Del mezo de’ quali non camuso naso in linea diritta discende, quanto ad aquilineo non essere dimanda il dovere.