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sance d’un idéal mahométan de générosité, de dignité et de fierté généreuse ; cet idéal, on le rattache de préférence à la personne d'un sultan, généralement à celle d’un prince eyoubide ou d’un sultan mameluck d’Égypte ; quand on cite un nom, c’est tout au plus celui de Saladin[1]. Même les Turcs Osmanlis, dont les instincts destructeurs n’étaient un mystère pour personne, n’inspirent aux Italiens, ainsi que nous l’avons montré plus haut (t. I, p. 116 ss.), qu’une demi-terreur, et des populations entières se font à l’idée d'une entente avec eux. Mais à côté de cette tolérance se montre aussi la farouche intolérance du chrétien à l’égard du musulman ; c’est aux prêtres, dit Filelfo, qu’il appartient de lever l’étendard contre l’islamisme, parce que, dominant dans une grande partie du monde, il est plus dangereux pour la religion chrétienne que le judaïsme[2]; à côté de l’idée de négocier avec les Turcs se manifeste le désir de faire la guerre aux Turcs, désir que Pie II réalisa pendant son pontificat et qui provoqua chez bien des humanistes des déclamations furibondes.

L’expression la plus vraie et la plus caractéristique de l’indifférence religieuse est la célèbre histoire des trois

  1. Boccace, dans le Décaméron, par exemple : voir aussi l’éloge de Saladin dans le Comment di Dante, I, 293. On trouve dans Massuccio des sultans sans nom particulier, l’un désigné comme le Re de Fes, l’autre comme le Re de Tunisi, nov. 46, 48, 49. — Dans Fazio degli Uberti, Il Dittamondo, II, 25, on lit aussi : el buono Saladin. — On peut aussi rappeler ici la (célèbre) alliance de Venise avec le sultan d’Égypte, en 1202 ; comp. G. Hanotaux, dans la Revue historique. IV (1877), p. 74-102. — Naturellement les attaques contre l’islamisme ne font pas défaut, Egnatius, De ex. ill, vir. Ven., fait {fol. 6o) l’éloge de Venise parce qu'il ne s’y trouve point de trace de Maumetana supersiitio, et se sert (fol. 103b) des expressions les plus terribles en parlant de Mahomet lui-même. — Notice sur une Turque qui se fait baptiser d’abord à Venise, puis une seconde fois à Rome, dans Cechetti, I, 487.
  2. Philelphi Epistolæ, Venet., 1502, fol. 90b ss.