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tage la question, on découvrira que sous l’apparence de l’incrédulité ou de la superstition le sentiment religieux subsistait dans toute sa force.

Nous ne citerons à l’appui de nos assertions que les preuves les plus importantes.

En présence de la doctrine dégénérée que l’Église défendait avec tous les moyens dont dispose la tyrannie, il était inévitable que chaque individu tendît à se faire une religion à lui ; or ce fait prouvait en même temps que l’esprit européen vivait encore. Sans doute ce phénomène apparaît sous des formes très-différentes ; pendant que les sectes mystiques et ascétiques du Nord créaient une nouvelle discipline à l’usage du nouveau monde intellectuel et moral, en Italie chacun suivait sa propre voie, et des milliers d’individus, lancés sur la haute mer de la vie, se perdaient dans l’indifférence religieuse. Il faut admirer d’autant plus ceux qui parvinrent à se faire une religion individuelle et surent y rester fidèles. Car s’ils s’étaient détachés de l’ancienne Église, telle qu’elle existait et qu’elle s’imposait alors, ce n’était pas leur faute ; quant à demander que l’individu fît l’immense travail intellectuel qui était réservé aux réformateurs allemands, c’eût été aussi peu juste que peu sensé. Nous tâcherons de montrer à la fin de ce livre quelles étaient les tendances de cette religion individuelle des esprits supérieurs.

Le caractère mondain par lequel la Renaissance semble former un contraste frappant avec le moyen âge, provient d’abord de cette masse d’idées et de vues nouvelles qui ont pour objet la nature et l’humanité, et dont le débordement caractérise cette époque. Considéré en lui-même, il n’est pas plus hostile à la religion que ce qui le remplace aujourd’hui, savoir ce qu’on appelle les