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ment l’idée de nobile et de nobilita de toute condition de naissance et l’identifie avec l’aptitude à toute supériorité morale et intellectuelle ; il donne une importance particulière à la haute culture, attendu que la nobiltà doit être la sœur de filosofia.

Plus l’humanisme étendit sa puissance sur les esprits en Italie, plus s’affermit la conviction que la valeur de l’homme est indépendante de sa naissance. Au quinzième siècle, c’était déjà la théorie en vogue. Le Pogge, dans son dialogue « sur la noblesse[1] », est déjà d’accord avec ses interlocuteurs, Niccolo Niccoli et Laurent de Médicis, frère du grand Côrae, sur ce point qu’il n’y a plus d’autre noblesse que celle qui résulte du mérite personnel. Son persiflage est mordant quand il tourne en ridicule ce qui, d’après le préjugé vulgaire, constitue la noblesse. « Un homme est d’autant plus éloigné de la vraie noblesse, dit-il, que ses ancêtres ont été de plus hardis malfaiteurs. L’ardeur à chasser l’oiseau et à poursuivre un gibier quelconque ne sent pas plus la noblesse que les nids ou les gîtes des bêtes sauvages ne sentent la rose. L’agriculture, comme les anciens l’entendaient, serait bien plus noble que ces courses inseosées par monts et par vaux, qui font ressembler l’homme aux animaux eux-mêmes. On peut en faire une récréation accidentelle, mais non pas la grande affaire de la vie. » Rien n’est moins noble, selon lui, que la vie menée par la chevalerie française et anglaise à la campagne ou dans les châteaux perdus au fond des bois, et surtout que celle des chevaliers brigands de l’Allemagne. Là-dessus Laurent de Médicis prend jusqu’à un certain point la

  1. Poggi Opera, Dial. de nobilitate, — L’opinion d’Aristote est formellement combattue par B. Platini, De vera nobilitate. (Opp. ed. Colon, 1573.)