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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

par suite de cet optimisme, qui est peut-être le défaut des États aristocratiques plutôt que des autres, que Venise était restée dans une complète ignorance des préparatifs faits par Mahomet II pour s’emparer de CoustantiDople» et même des armements de Charles VIII, jusqu’au moment où se réalisèrent des événements qu’elle n’avait pas crus possibles[1]. Il en fut de même de la Ligue de Cambrai, qui était en contradiction manifeste avec l’intérêt de ses principaux organisateurs, Louis XII et Jules II. Mais la haine de toute l’Italie contre les Vénitiens conquérants s’était incarnée dans la personne du Pape ; aussi ferma-t-il les yeux sur rentrée des étrangers dans la Péninsule ; pour ce qui conceruait la politique suivie par le cardinal d’Amboise et son maître à l’égard de l’Italie, Venise aurait dû depuis longtemps reconnaître et redouter leur sottise et leur méchanceté. La plupart des autres membres de la Ligue furent entraînés par l’envie qui s’attache à la richesse et à la puissance, dont elle est le châtiment tout en restant un mobile absolument immoral. Venise sortit de la lutte avec honneur, mais nou sans dommage.

On ne pourrait concevoir une puissance dont les bases sont si compliquées, dont l’activité et les intérêts s’étendent si loin, sans voir de haut l’ensemble de la situation, sans faire constamment la balance des ressources et des charges, de raugmentation et de la diminution de sa richesse. Venise pourrait bien revendiquerl’honneur d’être le berceau de la statistique ; Florence le partagerait peut-être avec elle, et en seconde ligne viendraient les principautés italiennes régulièrement organisées. L’État féodal

    que le besoin de vengeance peut même étouffer la voix de l’intérêt personnel.

  1. Malipiero, lot, cit., VII, I, p. 328.