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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

créer des dangers pour la République. Il n’en est pas moins vrai que Gênes, tout en possédant les mêmes avantages, a eu l’histoire politique la plus orageuse. L’inébranlable solidité de Venise est due à un concours de circonstances qu’on n’a trouvées réunies nulle part ailleurs. Inattaquable comme ville, elle n’était de tout temps intervenue dans les affaires étrangères qu’avec la plus grande circonspection ; elle était demeurée à peu près étrangère aux divisions du reste de l’Italie, et n’avait conclu des alliances que pour des motifs passagers et en se faisant payer son appui le plus cher possible. Aussi le fond du caractère vénitien était-il une fierté tout aristocratique ; la république se retranchait dans un isolement dédaigneux et trouvait une force considérable dans la solidarité de ses citoyens, solidarité que la haine du reste de l’Italie ne faisait que développer davantage. D’autre part, les habitants de la ville même étaient liés par des intérêts majeurs aux colonies aussi bien qu’aux villes de terre ferme, attendu que les habitants de ces dernières (c’est-à-dire de toutes les villes jusqu’à Bergame) ne pouvaient acheter et vendre qu’à Venise. Une situation aussi avantageuse ne pouvait se maintenir que par le repos et par l’union au dedans ; c’est ce que sentait certainement l’immense majorité des citoyens. Venise était donc un terrain peu favorable aux conspirations, et, s il y avait des mécontents, ils étaient tenus à l’écart les uns des autres par la division du peuple en noblesse et bourgeoisie, qui rendait tout rapprochement fort difficile. Dans le corps de la noblesse loi-même, une des causes principales de toute conjuration, l’oisiveté, se trouvait supprimée pour ceux qui pouvaient devenir dangereux, c’est-à-dire pour les riches, par suite de leurs grandes affaires commerciales, de leurs voyages et des guerres