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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

dans l’enceinte duquel on voyait les jardins, les allées et les manèges les plus magnifiques ; il n’en sort guère, et reste de longues années sans mettre le pied dans la ville ; ses excursions ont pour but les villes de la campagne, où s’élèvent ses superbes châteaux ; la flottille de barques, que traînent des chevaux rapides et qui le promène sur des canaux spécialement creusés à cet effet, est organisée en vue de toutes les exigences de l’étiquette. Toute personne qui venait au château était l’objet d’une surveillance minutieuse ; défense de stationner près d’une fenêtre, afin qu’on ne pût correspondre par signes avec le dehors. Ceux qui devaient faire partie de l’entourage immédiat du prince étaient soumis à toute une série d’épreuves savamment calculées ; quand ils les avaient subies avec succès, il leur confiait les plus hautes fonctions diplomatiques ou en faisait des laquais, car l’un était aussi honorable que l’autre. Et c’est cet homme qui a soutenu des guerres longues et difficiles, et qui a traité constamment de grandes affaires politiques, c’est-à-dire qui a dû sans cesse envoyer dans toutes les directions des hommes munis des pouvoirs les plus étendus. Ce qui faisait sa securité, c’est que tous ces gens-là se défiaient les uns des autres, c’est que les condottieri étaient surveillés par des espions, c’est que les négociateurs et les hauts Fonctionnaires ne savaient à quoi s’en tenir et ne pouvaient jamais s’entendre, parce que le prince semait habilement la division entre eux, et surtout parce qu’il avait soin d’accoupler chaque fois un honnête homme et un coquin. Même dans son for intérieur, Philippe-Marie est tranquille et concilie deux courants d’idées diamétralement opposés : il croit aux astres et à une aveugle fatalité, et en même temps il invoque la protection de