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CHAPITRE V. — LES GRANDES MAISONS RÉGNANTES.

soupçonne de trahison son propre frère, Frédéric le seul honnête homme de toute la famille, et l'offense de la manière la plus indigne ; enfin il perd la tête et s’enfuit en Italie, lui qui avait passé jusqu’alors pour un des meilleurs capitaines de la Péninsule, laissant son fils, le jeune Ferrante, livré sans défense à la vengeance des Français et à la trahison de tous. Une dynastie qui avait régné comme celle-là aurait dû au moins vendre chèrement sa vie, si elle avait voulu rendre possible une restauration dans l’avenir. Mais « jamais homme cruel ne fut hardi », ainsi que Comines l’a dit à ce propos, dans un sens un peu étroit, il est vrai, mais non sans justesse.

La souveraineté apparaît avec le caractère vraiment italien dans le sens du quinzième siècle, chez les ducs de Milan, dont la domination se montre, dès Jean Galéas (p. 15), sous les traits d’une monarchie absolue. Le dernier Visconti, Philippe-Marie (1412-1447) est surtout remarquable au plus haut point ; c’est, de plus, une figure admirablement retracée par les historiens du temps[1]. Ce que la crainte peut faire d’un homme richement doué, qui se trouve dans une haute situation se trouve, pour ainsi dire, mathématiquement complet chez lui : l’État n’a qu’un but, la sécurité du prince et tous les moyens dont il dispose tendent à ce but unique ; seulement, l’égoïsme féroce de ce souverain ne dégénéra pas en cruauté. Il habite le château de Milan,

  1. Petri Candidi Decembrii Vita Phil. Mariæ Vicecomitis, dans Murat., XX, dont Jore dit non sans raison (Vitæ XII Vicecomitum, p. 186) : Quum omissis laudibus quæ in Philippo celebrandæ fuerant, vitia notaret, Guarino donne de grands éloges au prince. Rosmini, Guarino, II, p. 75. Jove, dans l’ouvrage cité, p. 186, et Nov. Pontanus, De liberalitate, II, cap. xxviii et xxxi, font surtout ressortir la noble conduite du prinee à l’égard d’Alphonse prisonnier.