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CHAPITRE XI. — L’HUMANISME AU SEIZIÈME SIÈCLE.

le suicide [1], d’autres sont frappés par la justice secrète d’un tyran. Qui est encore heureux à la fin ? et comment peut-on Tétre ? est-ce par l’insensibilité complète en présence d’une pareille catastrophe ? Un des interlocuteurs du dialogue dans lequel Picrio a fait entrer tous ses récits, trouve une solution à ces questions ; c’est l’illusire Gasparo Contarini ; il suffit de voir ce nom pour s’attendre à des vérités profondes. Il cite comme type du savant heureux Fra LJrbaao Valeriano de Bellune [2], qui fut longtemps professeur de grec à Veuise, visita la Grèce et l’Orient, parcourut encore à la fin de sa carrière tantôt un pays, tantôt un autre, sans jamais monter sur une bête de somme, qui ne posséda jamais un denier, refusa tous les honneurs et toutes les distinctions, et mourut dans sa quatre-vingt-quatrième année, après une vieillesse pleine de sérénité, sans avoir jamais été malade, sauf à la suite d’une chute qu’il fit du haut d’une échelle. Qu’est-ce qui le distinguait des humanistes ? Ceux-ci ont plus de liberté, plus d’indépendance qu’il n’en faut pour être heureux ; le moine mendiant, au contraire, enfermé dans un couvent depuis son enfance, n’avait jamais mangé ou dormi son soûl et, par suite, était devenu insensible aux privations ; aussi conservait-il une parfaite égalité d’âme, même au milieu des tribulations, et, par celte impression qui se dégageait de sa personne, il agissait plus sur ses auditeurs que par sou grec ; son exemple leur disait qu’il dépend de nous-mêmes de succomber à l’adversité ou de la supporter courageusement. « Au milieu du dénûment et

  1. Comp. Dante , Inferno, XIII, v. 58 SS. ; surtout 93 ss., où Petrus de Vineis parle de son suicide.
  2. Pier. Valer., ed. Mencken, p. 397 ss., 402. Il est l’oncle de récrivam dont nous parlons.