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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

au point de vue moral, c’est que souvent les condottieri étaient obligés de livrer comme otages leurs femmes et leurs enfants, et que, malgré cela, ils n’inspiraient ni ne ressentaient la confiance. Il aurait fallu qu’ils fussent des héros d’abnégation, des caractères comme Bélisaire, pour ne pas amasser dans leur cœur des trésors de baine ; il aurait fallu qu’ils fussent foncièrement bons pour ne pas devenir de francs scélérats. Et c’est sous cet aspect que nous apprenons à connaître beaucoup d’entre eux ; nous trouvons chez eux le mépris le plus profond des choses les plus sacrées, la cruauté et la trahison poussées à leurs dernières limites ; ils sont presque tous gens à mourir en se riant des foudres de l’Église. Mais en même temps, chez plus d’un, la personnalité, le talent se développent à un degré merveilleux, et leurs soldats reconnaissent et admirent cette supériorité. On trouve ainsi les premières armées des temps modernes où ia valeur personnelle du chef, indépendamment de toute autre considération, est le principal, le tout-puissant ressort. La vie de François Sforza[1] est une preuve éclatante de ce fait ; il n’y a pas de préjugé de caste qui eût pu l’empêcher de devenir l’idole de tous et de se servir de cette popularité dans les moments difficiles. On a vu parfois les ennemis déposer les armes à son aspect, se découvrir et le saluer

    été à la tête d’une armée de 60, 000 soldats. Les Vénitiens ont-ils aussi empoisonné Alviano (1516), parce que, comme le dit Prato dans les Archiv. Stor., III, p. 348, il a secondé les Français avec trop d’ardeur à la bataille de S. Donato ? — La république se fit léguer par Colleoni toute sa succession, et, après sa mort (1475), elle se l’adjugea en vertu d’une confiscation en règle. Compar. Malipiero, Annali Veneti, dans les Archiv. Stor. VII, I, p. 244. Elle aimait à voir les condottieri placer leur argent à Venise. Ibid., p. 351.

  1. Cagnola dans les Archiv. stor., III, p. 121 ss.