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CHAPITRE III. — LA TYRANNIE AU QUINZIÈME SIÈCLE.

question les leur pardonnent. Ici l’on ne trouve point de trace de cet amour, de ce respect qui faisait la force des princes légitimes de l’Occident ; le souverain italien a, tout au plus, une sorte de popularité qui se borne à sa capitale ; ce qu’il lui faut pour réussir, c’est le talent, la prudence, le calcul. Un caractère comme celui de Charles le Téméraire, qui se lance avec une passion furieuse dans des entreprises qui n’ont aucun caractère pratique, était pour les Italiens une véritable énigme. « Mais les Suisses ne sont que des paysans, et, quand même on les tuerait tous, leur mort ne constituerait pas une réparation pour tous les seigneurs bourguignons qui pourraient périr dans la lutte ! Lors même que le due posséderait la Suisse sans avoir à la conquérir, il n’y gagnerait pas cinq mille ducats de revenu annuel, etc.[1]. » Ce qui, dans Charles le Téméraire, rappelait le moyen âge, c’est-à-dire ses fantaisies ou ses idées chevaleresques, l’Italie depuis longtemps ne le comprenait plus[2]. Le prince qui allait jusqu’à donner des soufflets à ses lieutenants, et qui pourtant les gardait à son service ; le prince qui maltraitait ses troupes pour les punir d’un échec subi, et qu’on voyait ensuite blâmer ses conseillers intimes en présence des soldats, devait être, pour les diplomates du Sud, un homme condamné. Quant à Louis XI, cet habile politique qui, en matière d’astuce, en aurait remontré aux princes italiens, et qui se posait en grand admirateur de François Sforza, sa nature vulgaire le place, sous le rapport de la culture de l’esprit, bien au-dessous de ses modèles.

Dans les différents États italiens du quinzième siècle,

  1. De Gingins, Dépêches des ambassadeurs milanais, Paris et Genève 1858, II, p. 200 ss. (N. 213.) Comp. II, 3 (n. 144), et II, 212 ss. (n. 218).
  2. Paul Jove, Elogia, p. 156 ss. Carolus Burgundiæ dux.