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DÉVELOPPEMENT DE L’INDIVIDU.

qui lui donnait l’hospitalité. Quant au reste, ses relations avec les grands se bornent à la mendicité et au vulgaire chantage.

C’est Arétin qui le premier fait un abus violent de la publicité pour arriver à ces fins méprisables. Les écrits polémiques que le Pogge et ses adversaires avaient échangés un siècle auparavant, sont tout aussi infâmes, si l’on en considère le but et le ton ; mais ils ne sont du moins destinés qu’à une sorte de demi-publicité. Arétin, au contraire, veut la publicité la plus large et la plus complète ; il est, à certaius égards, un des créateurs du journalisme moderne. Il fait paraître des recueils périodiques de ses lettres et d’autres articles, après qu’ils ont déjà circulé partout[1].

Comparé aux plumes mordantes du dix-huitième siècle, Arétin a l’avantage de ne pas s’embarrasser de principes gênants, de lumières à répandre, de philanthropie ou d’autres vertus à pratiquer, ni même de connaissances à propager ; tout son bagage se réduit à la devise connue : Veritas odium parit. Aussi ne fut-il jamais dans une fausse position, comme Voltaire, par exemple, qui fut obligé de renier sa Pucelle et de cacher pendant toute sa vie d’autres de ses œuvres ; Arétin signait tous ses écrits, et même, sur la fin de sa carrière, il se vante ouvertement de ses fameux Ragionamenti. Son talent littéraire, sa prose claire et piquante, son esprit observateur le rendraient remarquable de toute façon, même à côté de sa complète impuissance à concevoir une œuvre d’art pro-

  1. Nous ne pouvons examiner ici comment il se rendit particulièrement redoutable aux artistes. — L’instrument de publicité de la réformation allemande est surtout la brochure, en ce qui concerne des questions déterminées, sur lesquelles il n’y a pas lieu de revenir ; Arétin, au contraire, est journaliste en ce sens qu’il a constamment de nouveaux motifs de recourir à la publicité.