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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

rins d’or, ses différents États lui ont encore payé, en une seule année, 800,000 florins d’or à titre de subsides extraordinaires. Après sa mort, l’empire qu’il avait fondé au moyen de toute sorte de violences, tomba en ruine, et, en attendant, ses héritiers purent à peine en conserver les éléments primitifs. Qui sait ce que seraient devenus ses fils Jean-Marie († 1412) et Philippe-Marie († 1447), s’ils avaient vécu dans un autre pays et sans connaître la maison d’où ils sortaient ? Mais, issus d’une telle race, ils héritèrent aussi l’immense capital de cruauté et de lâcheté qui, de génération en génération, s’était accumulé dans cette famille

Jean-Marie est, lui aussi, célèbre par ses chiens ; mais ce ne sont plus des chiens de chasse qu’il a, ce sont des bétes dressées à mettre des hommes en pièces, et dont les noms nous ont été conservés comme ceux des ours de l’empereur Valentinien Ier[1]. Lorsqu’au mois de mai 1409, pendant que la guerre durait encore, le peuple affamé lui fit entendre un jour dans la rue le cri de : Pace ! pace ! il fit charger la foule par ses soudards, qui tuèrent deux cents personnes. À la suite de l’événement, il fut défendu, sous peine du gibet, de prononcer les mots de pace et de guerra ; même les prêtres reçurent l’ordre de dire désormais : Dona nabis tranquillitatem, au lieu de pacem. Enfin quelques conjurés saisirent le moment où Facino Cane, le grand condottiere de ce fou couronné, était mourant à Pavie, pour assassiner Jean-Marie à Milan, près de l’église de Saint-Gothard ; mais, le même jour, Facino fit jurer à ses officiers de soutenir le frère du duc, Philippe-Marie, et demanda lui-même que sa femme se mariât avec ce prince, quand il ne serait

  1. Corio, fol. 301 ss. Comp. Ammien Marcellin, XXIX, 3.