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CHAPITRE II. — LA TYRANNIE AU QUATORZIÈME SIÈCLE.

voir et fit piller le palais de Bernabo par le peuple.

Chez Giangaleazzo se montre dans toute sa force le goût des tyrans pour les choses colossales. Il a dépensé 300 000 florins d’or à faire construire des digues giganiesques, afin de pouvoir détourner à volonté le Mincio de Mantoue et la Brenta de Padoue, et priver ces villes de tout moyen de défense[1] ; il serait même possible qu’il eût songé à dessécher les lagunes de Venise. Il fonda[2] « le plus merveilleux de tous les couvents », la chartreuse de Pavie, et le dôme de Milan, « qui surpasse en grandeur et en magnificence toutes les églises de la chrétienté peut-être le palais de Pavie, que son père Galéas avait commencé et qu’il acheva, était-il de beaucoup la plus splendide résidence princière de l’Europe d’alors. C’est là qu’il transporta sa bibliothèque et la grande collection de reliques qu’il avait réuaies et pour lesquelles il avait une vénération toute particulière.

Il serait extraordinaire qu’un prince de ce caractère n’eût pas, dans le domaine politique, recherché les plus belles couronnes. Le roi Wenceslas lui conféra le titre de duc (1395) ; mais il ne rêvait rien moins que la couronne de roi d’Italie[3] ou la couronne impériale, lorsqu’il tomba malade et mourut (1402). On prétend qu’outre les contributions régulières, qui s’élevaient à 1,200,000 flo-

  1. Corio, fol. 272, 285.
  2. Cagnola, dans les Archives, stor. III, p. 23.
  3. C’est ce que disent Corio, fol. 286, et Poggio, Hist. Florent., IV, dans Muratori, XX, col. 290. - Cagnola parle ailleurs des vues de Giangaleazzo sur la couronne impériale ; il en est aussi question dans le sonnet qu’on trouve dans Truchi, Poésie ital. inédite, II, p. 118 :

    Stati la città lombarde con le chiave
    In man per darle a voi…, etc.
    Roma vi chiama ; Cesar mio novello
    Io sono ignada, et l’anima pur vive :
    Or mi coprite col vostro mantello, etc.