Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 1.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

reconnaît à ne pouvoir s’y méprendre dans Bernabo un air de familie avec les plus cruels des empereurs romains[1]. Son principal but politique, c’est la chasse au sanglier ; celui qui ose empiéter sur les droits de l’auguste chasseur périt dans les plus affreux supplices ; le peuple tremblant est obligé de nourrir pour lui cinq mille chiens de chasse, et répond sur sa tête du bien-être de ces animaux. Il fait rentrer les impôts par tous les moyens de contrainte imaginables, il donne à chacune de ses filles une dot de cent mille florins d’or, et amasse un trésor énorme. À la mort de sa femme, il adressa une notification « à ses sujets » ; ils devaient, disait-il, partager sa douleur comme ils partageaient ordinairement ses joies, et porter le deuil pendant un an. — Ce qui est caractéristique au plus haut point, c’est le coup de main par lequel son neveu Giangaleazzo s’empara de sa personne (1385) ; c’est un de ces complots heureux dont le récit fait encore battre le cœur des historiens d’un autre siècle[2]. Giangaleazzo, méprisé de sa famille à cause de son amour pour les sciences et de ses sentiments religieux, résolut de se venger : il quitta Milan sous le prétexte d’un pèlerinage, surprit son oncle qui ne se doutait de rien, le mit en lieu de sûreté, pénétra dans la ville avec une troupe d’honames armés, s’empara du pou-

  1. Corio, Storia di Milano, fol. 247, ss. Sans doute des historiens italiens plus modernes ont fait observer que les Visconti attendent encore leur historien, c’est-à-dire un auteur qui tienne le juste milieu entre les louanges exagérées des contemporains (de Pétrarque, par ex.) et les diatribes violentes d’adversaires politiques postérieurs (Guelfes), et qui puisse porter sur eux un jugement définitif.
  2. Celui de Paul Jove, par ex. : Elogia virorum bellica virtute illustrium, Bâle, 1575, p. 87. Dans la Vita de Bernabò, Giangal (Vita. p. 86, ss.) est pour Jove post Theodoricum omnium prœstantissimus. Compar, aussi Jovius Vitæ XII vicecomitum Mediolani principum, Paris, 1549, p.165, ss.