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CHAPITRE II. — LA TYRANNIE AU QUATORZIÈME SIÈCLE.

l’ennemi de tous les hommes bons et intelligents, qui ne peut se fier à personne et qui peut lire sur le front de ses sujets l’espérance de sa chute. « De même que les tyrannies s’élèvent, grandissent et se consolident, de même grandit en silence dans leur sein le germe fatal d’où sortiront pour elles le trouble et la ruine[1]. » Les auteurs ne font pas assez ressortir un contraste plus frappant : en ce temps-là Florence était occupée du développement le plus large des individualités, pendant que les tyrans n’admettaient d’autre individualité que la leur et celle de leurs plus proches serviteurs. Déjà le contrôle le plus minutieux s’exerçait sur les citoyens, et la surveillance s’étendait jusqu’aux passeports[2]».

Cette existence inquiète et maudite prenait une couleur particulière dans l’imagination des contemporains, par suite des superstitions astrologiques ou de l’incrédulité de certains souverains. Lorsque le dernier Carrara, prisonnier dans sa ville de Padoue que la peste avait changée en désert, ne pouvait plus garnir de soldats les murs et les portes, tandis que les Vénitiens enveloppaient la place, ses gardes du corps l’entendirent souvent la nuit invoquer le diable et lui crier de venir lui donner la mort.

Le développement le plus complet et le plus instruclif de cette tyrannie du quatorzième siècle se trouve incontestablement chez les Visconti de Milan, à partir de la mort de l’archevêque Giovanni (1354). Tout d’abord on

  1. Matteo Villani, VI, 1.
  2. Le bureau des passe-ports qui existait à Padoue au milieu du quatorzième siècle est désigné par Franco Sachetii, nov. 117 comme quelli delle bluette. Dans les dix dernières années du règne de Frédéric II, alors que régnait le contrôle le plus minutieux, le système des passe-ports devait être déjà très-perfectionné.