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DÉVELOPPEMENT DE L’INDIVIDU.

loppe l’étude subjective ; l’homme devient individu[1] spirituel, et il a conscience de ce nouvel état. Tel on avait vu jadis le Grec s’élever en face du monde barbare, l’Arabe en face des autres races asiatiques. Il ne sera pas difficile de prouver que c’est la situation politique qui a eu la plus grande part à cette transformation.

Même à des époques de beaucoup antérieures, ou trouve parfois en Italie la personnalité développée à un degré inconnu dans le Nord. Nous voyons des figures remarquables parmi les hardis aventuriers du dixième siècle dont Liudprand raconte les faits et gestes, les contemporains de Grégoire VII (comp. p. 191, note 1) et les adversaires des premiers Hohenstaufen. Mais à la fin du treizième siècle l’Italie commence à fourmiller de personnalités marquantes ; le charme qui avait pesé sur l’individualisme est entièrement rompu ; les grandes figures se multiplient. Le vaste poëme de Dante aurait été impossible dans tout autre pays par la raison que, partout, le préjugé de la race régnait encore en maître ; pour l’Italie le poëte est devenu le héraut le plus national de son temps, grâce au développement extraordinaire de l’élément individuel. Nous aurons à exposer dans des chapitres spéciaux ce que l’esprit humain a produit dans le domaine de la littérature et des arts ; nous réservons une place à part aux grandes figures qui ont surgi en Italie ; nous nous bornerons ici à expliquer le fait psychologique lui-même. Ce fait est complet et positif, tel il se montre dans l’histoire ; au quatorzième siècle, l’Italie ne sait guère ce que c’est que la fausse modestie et l’hypocrisie ; personne n’a peur de

  1. Il faut remarquer les expressions uomo singolare, uomo unico, employées pour désigner un degré supérieur et l’apogée de la culture individuelle.