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m’a aussi fait observer qu’il n’y avait jamais eu qu’un bien petit nombre de riches, de puissants et de sages qui eussent partagé mes sentiments ; qu’aucun d’eux n’était devenu chrétien avant d’avoir d’abord perdu la raison ; qu’il fallait être fou pour consentir à tout sacrifier pour courir après un bien imaginaire[1] ; enfin que ce pélerinage n’avait jamais été entrepris que par des gens de rien, qui n’avaient aucune idée des sciences humaines. Il m’a parlé long-temps sur ce ton, et m’a dit encore une foule de choses ; entre autres, que c’était une pitié de voir les gens gémir et se désoler en entendant un sermon, puis rentrer chez eux pour soupirer et pleurer encore ; que c’était une honte aussi de demander pardon à son prochain pour les plus légères offenses, ou de restituer un bien mal acquis ; que les gens religieux avaient l’habitude de fuir les grands à cause de quelques légères faiblesses (c’est ainsi qu’il appelait leurs vices), et qu’ils se rapprochaient des gens du commun, parce qu’ils trouvaient en eux une conformité de principes religieux ; et, ajouta-t-il, se peut-il rien de plus honteux ?

Chrétien. Qu’avez-vous répondu à tout cela ?

Fidèle. Au premier moment, je ne savais que dire. Il me poussa tellement à bout, que la rougeur me monta au visage, et que je me sentis presque battu par ce Honteux. Mais je me rappelai bientôt que « tout

  1. 1 Cor. I, 26 ; III, 18. Phil. III, 7, 9. Jean VII, 48.