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impression favorable. La soirée acheva mon triomphe ; car lady Chester et lady Harriett arrangèrent si bien mon aventure avec les chiens, que cela passa pour une excellente plaisanterie et que je devins du coup, aux yeux de la compagnie, un charmant garçon, très-sensé et rempli d’esprit. Tant il est vrai qu’il n’est pas de situation que nous ne puissions, avec un peu de tact, faire tourner à notre avantage. Vous n’avez qu’à bien vous conduire, et vous conduirez tout le monde.

Quant à lord Chester, je lui eus bientôt gagné le cœur par quelques exploits d’équitation, et quelques anecdotes que j’improvisai sur la sagacité des chiens. Trois jours après mon arrivée, nous étions inséparables ; j’employai si bien mon temps que deux jours plus tard il me parla de l’amitié qu’il avait pour Dawton, et du titre de duc dont il avait envie pour lui-même. Ces deux motifs n’allaient pas mal ensemble, et il finit par me promettre que sa réponse à mon supérieur serait aussi favorable que je le pourrais désirer ; le lendemain de cette promesse commença la grande journée de Newmarket.

Il va sans dire que toute la société devait se rendre aux courses, et bon gré mal gré il fallut me laisser enrôler avec les autres. Nous n’étions éloignés du terrain des courses que de quelques milles, et lord Chester me prêta un de ses chevaux. Le plus court était par une série de chemins de traverse, et comme la conversation de mes compagnons avait très-peu d’intérêt pour moi, je regardai la campagne que nous traversions avec plus d’attention que je n’en prête d’habitude au paysage. En effet, j’étudie la nature plutôt dans les hommes que dans les champs, et je ne connais pas de paysage qui présente aux yeux autant de variété ou autant de sujets de contemplation, que les inégalités du cœur humain.

Mais il devait survenir peu de temps après des événements terribles qui graveraient dans ma mémoire la scène agreste sur laquelle ma vue s’arrêtait en ce moment avec complaisance. C’étaient de larges plaines, tristes, avec des bouquets de pins et de mélèzes formant çà et là des masses noires. La route était inégale et raboteuse ; parfois un petit