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était un riche marchand de charbon lui a laisse 10, 000 livres sterling. Crabtree voulut se mêler de politique. Quand le destin a envie de ruiner un homme d’une habileté et d’une fortune médiocres, il en fait un orateur. M. Chitterling Crabtree assista à tous les meetings qui se tenaient à l’hôtel de la Couronne et de l’Ancre. Il souscrivit en faveur des âmes souffrantes de la liberté, il harangua, pérora, sua, écrivit ; il fut mis à l’amende et emprisonné, il recouvra sa liberté et se maria. Sa femme, qui n’était pas moins communiste que lui, s’enfuit avec un citoyen tandis que son mari prêchait le partage des biens. Chitterling sécha ses larmes et se consola avec cette réflexion que, dans un état social bien constitué, pareil événement serait impossible.

« M. Crabtree était arrivé à la moitié de la vie, et sa fortune décroissant selon la même proportion, avait diminué de moitié. On ne peut pas souscrire en faveur des amis de la liberté et déclamer dans des banquets, sans que la bourse s’en ressente. Mais il lui restait à boire le calice jusqu’à la lie. Le meilleur ami, le familier le plus intime de M. Chitterling Crabtree entreprit une spéculation dont les résultats devaient être magnifiques ; le succès était certain. Notre homme n’hésita pas à y mettre toute sa fortune, l’entreprise tomba dans l’eau, l’ami s’enfuit et M. Crabtree ruiné. Mais il n’était pas d’un caractère à se désespérer pour si peu. Qu’est-ce en effet que le pain, la viande et la bière, pour le champion de l’égalité ? Il retourna le soir au meeting et déclara qu’il se glorifiait de la perte de sa fortune, parce qu’il l’avait perdue pour la bonne cause. Il fut couvert d’applaudissements et alla se coucher plus heureux que jamais. Inutile de vous en dire davantage : Vous le voyez ici ; verbum sat. Il parle au club Cicéronien pour une demi-couronne par soirée, et il paie jusqu’à ce jour six pence de souscription par semaine pour la cause de la liberté et de la diffusion des lumières dans le monde entier.

— Pardieu ! s’écria Dartmore ; c’est un brave garçon et il faut que mon père fasse quelque chose pour lui. »

Gordon dressa l’oreille et continua ainsi :

« Passons, messieurs, au deuxième personnage que je