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fit faire une pétition contre moi, m’accusant de manœuvres déloyales, c’était son expression. Dieu sait ce qu’il voulait dire. Je suis sûr que la chambre n’en sut pas davantage, lorsqu’elle cassa mon élection, et déclara monsieur Lufton dûment élu.

Il n’y avait jamais eu pareille émotion jusque-là dans la famille Glenmorris. Mon oncle en eut une attaque de goutte remontée et ma mère s’enferma pendant une semaine tout entière. Quant à moi, quoique je fusse blessé au cœur, je supportai ce malheur avec assez de philosophie, en apparence du moins. Je ne cessai pas pour cela de m’occuper des affaires politiques.

Quelle fut mon adresse et quels succès j’obtins dans les tentatives que je fis pour réparer le tort que me faisait la perte de mon influence parlementaire, c’est ce que le lecteur verra en temps et lieu par la suite de cette histoire.

Je voyais Glanville continuellement. Lorsqu’il était d’une humeur passable, c’était un compagnon dont la conversation était pleine d’intérêt, quoiqu’il ne fût jamais tout à fait ouvert ni communicatif. Sa parole était vive, mais sans saillie, il était sarcastique sans amertume, sa conversation était pleine de réflexions philosophiques et de maximes instructives, ou du moins prêtant à des discussions intéressantes. C’était un esprit vaste, profond, brillant, mais d’une imagination sombre ; son éducation était très-variée mais un peu désordonnée. Il aimait les paradoxes et savait les soutenir avec une subtilité et une force d’intelligence telles que Vincent, qui était un de ses grands admirateurs, disait qu’il n’avait jamais rien vu de pareil. Il était sujet de temps en temps à des accès de tristesse et de désespoir qui ressemblaient tout à fait à de la folie. Dans ces moments-là il restait silencieux, oubliait ma présence et tout ce qui l’entourait. Ce n’était qu’au sortir de ces crises, alors que le jeu de sa physionomie s’était arrêté pour faire place au calme et à l’immobilité, qu’on pouvait voir dans toute leur étendue les signes de sa décadence prématurée. Ses joues étaient creuses et pâles, ses yeux éteints avaient cet aspect vitreux et égaré qu’on ne voit que chez les gens atteints d’une grave maladie du corps ou de l’esprit et qui indiquent,