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naissez-vous ? voulez-vous que je vous présente à lui ?

— Que le ciel m’en préserve ! m’écriai-je dans un état de frayeur qui me fit perdre ma présence d’esprit au mépris des convenances ; venez, lady Henriette, allons retrouver sir Lionel. » À ces mots lady Henriette s’empressa de reprendre mon bras, fit un signe d’adieu à lady Babbleton, et se retira avec moi dans le coin le plus obscur du salon.

Là, nous lâchâmes la bride à notre envie de rire, pendant quelque temps, puis : « Est-ce possible ! m’écriai-je en me levant brusquement, est-ce bien Tyrrell ?

— Que vous a fait cet homme ? » s’écria lady Henriette.

Je retrouvai bientôt mon sang-froid et me rassis : « Pardonnez-moi, je vous prie, lady Henriette, lui dis-je, mais je crois voir, ou plutôt je suis sûr de voir là une personne que j’ai rencontrée déjà dans des circonstances bien extraordinaires. Voyez-vous cet homme brun, en grand deuil, qui vient d’entrer dans le salon et qui cause en ce moment avec sir Ralph Rumford ?

— Oui, je le vois, c’est sir John Tyrrell, répondit lady Henriette, il n’est à Cheltenham que depuis hier. C’est toute une histoire.

— Dites-moi-la donc, m’écriai-je vivement.

— Eh bien ! il était fils unique d’un membre de la branche cadette des Tyrrell ; vieille famille, comme le nom l’indique. Il était fort lancé il y a quelques années dans un monde de roués, où il s’était rendu célèbre par ses aventures galantes. Sa fortune était loin de pouvoir suffire à ses dépenses, alors il s’est mis à jouer et a perdu le peu de bien qui lui restait. Il a quitté l’Angleterre, et a fréquenté les maisons de jeu de bas étage de Paris où il a mené une existence précaire et dégradée, jusqu’au moment où, il y a environ trois mois, deux personnes qui étaient héritières avant lui des biens et du titre de la famille vinrent à mourir ; il s’est trouvé ainsi investi d’un héritage auquel il ne s’attendait guère. On dit qu’on l’a trouvé dans le dernier degré de misère et de pénurie à Paris, au fond de quelque galetas. Quoi qu’il en soit, c’est aujourd’hui sir John Tyrrell, à la tête d’une belle fortune, et malgré une certaine rudesse de manières qu’il a proba-