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face de lui était assis lord Vincent qui, avec un mérite réel, affectait d’être pédant ; c’était un de ces hommes qui sont toute leur vie des jeunes gens d’avenir, qu’on trouve jusqu’à quatre heures après midi en robe de chambre, assis en face d’un in-quarto ; qui vont passer six semaines à la campagne à chaque saison, pour y forger péniblement une réplique impromptu, et ont toujours sous presse un ouvrage qui ne paraîtra jamais.

Quant à lady Nelthorpe elle-même, je l’avais vue souvent. Elle avait quelque réputation de talent, était extrêmement affectée, écrivait des pièces de vers dans des albums, jetait du ridicule sur son mari qui était un grand chasseur de renards ; enfin elle avait un goût particulier pour les beaux arts.

Il y avait encore quatre ou cinq autres personnes très-inconnues et très-vulgaires, c’étaient des cadets, bons tireurs, mais de mauvais partis, des dames d’un certain âge, qui habitaient Backer-Street, et qui auraient volontiers passé la nuit au whist ; et de petites innocentes qui n’avaient jamais bu de vin et qui disaient Monsieur !

Je dois, néanmoins, faire une exception en faveur de la belle lady Roseville, qui était peut-être la femme la plus séduisante du jour. C’était elle évidemment qui était le grand personnage, et il devait en être ainsi partout où elle se trouvait, pourvu qu’il y eût des gens capables de rendre hommage au bon ton. Je n’ai jamais vu une personne plus belle. Ses yeux étaient du bleu le plus foncé, sa carnation des plus délicates, ses cheveux du plus beau châtain ; M. Wormwood lui-même n’avait pas pu trouver le plus petit défaut dans l’ovale délicat ni dans la symétrie élégante de son visage.

Quoiqu’elle n’eût pas plus de vingt-cinq ans, elle était dans cette situation qui seule donne de l’indépendance à une femme, le veuvage. Lord Roseville qui était mort depuis deux ans n’avait vécu que quelques mois après son mariage ; il avait pu, en si peu de temps, apprécier toute l’excellence de sa femme et il le montra bien, car, en mourant, il lui laissa la totalité des biens dont il pouvait disposer et qui étaient considérables.